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ST-AIMS 11 : Organiser la vérité. Les pratiques épistémiques dans les organisations

Mots-clés : Processus Epistémique, Vérité, Organisation, Fiabilité, Fonctionnement Epistémique, Problèmes Epistémiques, Argumentation 

 

Les fake-news, le « bullshit » ou la post-vérité ne menacent pas seulement les démocraties. Les organisations sont également concernées (Spicer 2013). Chaque jour, entrepreneurs, dirigeants et managers doivent prendre leurs décisions en s'appuyant sur les informations qu’ils reçoivent. Que ces informations soient fausses, ou trop approximatives, et c'est tout le processus de prise de décision qui est fragilisé. Il importe donc de s'assurer de la vérité des informations que l'on emploie (Bouilloud et al. 2017), en interne comme en externe, ou au moins de leur proximité suffisante à la vérité, et que individus et collectifs développent des pratiques plus vertueuses d'un point de vue épistémique (de Bruin 2013). Parce que l'organisation n'est pas composée que d'individus mais aussi de routines, de procédures et de circuits d'information formels et informels (Simon 2000, Puranam et al. 2015), de mécanismes de socialisation et d'incitations, elle a aussi besoin d'outils et de méthodes pour réifier cette exigence de vérité et l'étendre à toutes les dimensions de sa machinerie interne affectant les processus attentionnels et décisionnels. Bien que puisant largement dans les fondamentaux de l'épistémologie, l'échelle organisationnelle de l'étude des phénomènes épistémiques invite ainsi à penser de manière croisée les questions de l'argumentation, de la gestion de l'incertitude, et des phénomènes de cadrage sociocognitifs, etc. D'autant que les nouvelles technologies, en particulier celles associées à l'intelligence artificielle, pourraient complexifier voire accentuer les dérèglements épistémiques.

Il existe sur ces questions une littérature considérable, et un très grand nombre d'heuristiques visant à maximiser la production d’informations vraies. Mais le plus souvent, cette littérature et ces heuristiques s'arrêtent aux aspects procéduraux ou techniques du problème. Or la production de ces informations vraies ne dépend pas seulement d'un bon système d'information, ou d'une bonne procédure qualité. Elle dépend des manières dont l'organisation, dans son ensemble, organise ses processus épistémiques. Les processus épistémiques sont l'ensemble organisé des pratiques individuelles et collectives permettant de s'assurer de la vérité d'une information ou d’une opinion, ou plus généralement de la réalisation des objectifs épistémiques d’une organisation. Cela peut aller de la démarche la plus élémentaire (consulter un état des stocks pour vérifier la présence d'un produit, par exemple), à la plus complexe (par exemple organiser des équipes d’analystes quantitatifs pour s’assurer de la fiabilité des notations attribuées à des produits financiers).

La totalité des processus organisationnels présentent des aspects épistémiques, puisque s’y logent nécessairement des opinions ou des savoirs plus ou moins correctement étayés. Nous proposons ici de mettre l’accent sur ces dimensions épistémiques, aussi ubiquitaire que négligées.

Un processus épistémique ne se limite pas à une somme de pratiques, pas plus qu’un processus de production ne se limite à une somme de machines.

Ces processus ont différentes dimensions :

- Un ou plusieurs objectifs épistémiques.

- Des pratiques cognitives, discursives et matérielles.

- Une structure déterminant l’organisation et la scansion des pratiques.

L’analyse de ces processus doit également tenir compte :

- Des normes épistémiques, qui permettent de distinguer le bien du mal sur le plan épistémique (par exemple dans une discussion, est-il ou non acceptable de la clore autoritairement ?).

- Des intrants et des sources épistémiques

- Des critères ou des standards, qui déterminent notamment que l’objectif est atteint, mais aussi la fiabilité des sources et la qualité des pratiques.

- Des savoir-faire, qui permettent de maîtriser les pratiques, ainsi que la mobilisation des normes et des critères.

 

Porter son attention à ces processus épistémiques consiste moins à se préoccuper d’être exactement dans le vrai qu’à s’assurer que l'on ne s'en éloigne pas trop, et surtout à s’inquiéter que l'effort collectif vers une information « suffisamment » vraie est correctement organisé.

L'objectif de cette session thématique est déjà de contribuer à mieux comprendre les formes particulières que prennent ces processus épistémiques (ou cette justification épistémique) dans un contexte organisationnel, leur importance pour les organisations (aussi bien en leur sein qu'entre elles), comment ils peuvent être optimisés, et plus largement à examiner les problèmes, difficultés et faillites rencontrés dans et par les organisations dans ces processus épistémiques.

L'objectif de cette session thématique est ensuite et surtout de sensibiliser les chercheurs en sciences de gestion aux différents aspects de cette thématique, et d'en montrer tant l'intérêt théorique que pratique. Il s’agit de susciter une discussion collective autour de la notion de processus épistémique, pour en faire un sujet de recherche structuré capable de fédérer des actions de recherche aujourd‘hui éparses.

Cette question des processus épistémique dans les organisations est évidemment transversale, et concerne directement l’ensemble des domaines couverts par l’AIMS : stratégie, décision, information, changement, innovation, contrôle, … Chaque chercheur est donc invité à formuler ses réflexions et propositions à partir de ses propres thématiques de recherche et de ses propres cadres théoriques.

Parmi les questions qui pourraient être abordés à l’occasion de cette session thématique, nous pouvons mentionner les suivantes, sans évidemment prétendre à la moindre exhaustivité :

- Qu’est-ce que « prouver » dans une organisation ?

Quelles structures hiérarchiques pour quels objectifs épistémiques ?

- Quelle est la place de l’argumentation dans les processus épistémiques organisationnel ?

- Comment contrôler le « hype, » et autres dérèglements épistémiques, dans les processus d’innovation ?

- Une organisation doit-elle être épistémiquement vertueuse ?

- Quelles normes mettre en place pour encourager un management épistémiquement vertueux ?

- Le management doit-il être épistémiquement vertueux ?

- Comment mesurer et contrôler la performance épistémique d’une organisation ?

- Quelles sont les conséquences organisationnelles des dérèglements épistémiques (et en particulier du « Business Bullshit ») ?

- L’IA pourrait-elle aider à améliorer les processus épistémiques dans les organisations ?

- Quelle place pour le vrai et pour le fiable dans les processus décisionnels ?

- Peut-on organiser un processus épistémique ?

 

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