Le dialogue entre recherche académique et pratique managériale soulève des questions récurrentes en sciences de gestion (Martinet, 1990 ; David, Hatchuel, Laufer, 2000 ; Demil, Lecocq, Warnier, 2007), amplifiées par les défis sociétaux contemporains (Wickert et al., 2021). Cependant, les divergences entre les perspectives académiques et les besoins des praticiens en termes de temporalité, de communication et d'incitations sont des obstacles à une véritable intégration des connaissances dans les organisations (Amabile et al., 2001 ; Avenier, 2009 ; Bansal et al., 2012). Le débat autour de la rigueur scientifique et la pertinence pratique dans les différents domaines des sciences de gestion (Baskerville et Myers, 2004 ; Soparnot, Arreola, Borel, 2017 ; Marabelli et Vaast, 2020) peut donner une certaine légitimité à la discipline vis-à-vis de la pratique, et inversement, mais ne résout pas fondamentalement les tensions au sein de cette relation complexe (Carton et Mouricou, 2017).
La littérature sur le sujet montre une reconnaissance croissante des enjeux et opportunités associés à l'interaction entre recherche et pratique en sciences de gestion. Les travaux de Bartunek et Rynes (2014), Carton et Mouricou (2017) et Banks et al. (2021) convergent par exemple vers la nécessité d'une approche plus intégrée et nuancée, qui reconnaît la valeur des tensions et cherche à les gérer plutôt qu'à les éliminer. Traditionnellement, l'analyse de cette relation s’est principalement intéressée aux questionnements épistémologiques et méthodologiques (Lavergne, 2007 ; Avenier, 2009 ; Gilbert et Raulet-Croset, 2023 ; Boutru, Delaunay, Vaslet, et Voiseux, 2024). Si cette perspective demeure pertinente, elle ne prend pas toujours pleinement en compte les complexités et les dynamiques spécifiques de la pratique professionnelle. Cette session thématique se propose d'explorer de nouvelles perspectives. Profitant du thème de la conférence de l'AIMS 2025 sur le management des ressources, nous suggérons quatre angles d’analyse pour explorer la relation complexe entre pratique et recherche, à savoir les compétences, les connaissances, les capacités dynamiques et les relations (Prévot, Brulhart, et Guieu, 2010). Plusieurs perspectives de recherches sont ainsi proposées :
Synergies entre recherche académique et pratique managériale : transfert croisé de compétences et influence réciproque. La synergie entre recherche académique et pratique managériale gagne à être analysée dans le registre des compétences (Sanchez et Heene, 1997). Dans la vision traditionnelle, les chercheurs apportent des cadres conceptuels, des méthodologies rigoureuses et des résultats empiriques qui peuvent éclairer et optimiser les pratiques de gestion. Les praticiens offrent des accès au terrain et des problématiques ancrées dans la réalité opérationnelle. Cette vision appelle un dépassement pour considérer la façon dont s’opère réellement l’influence réciproque chercheur-praticien. Comment les chercheurs et les praticiens développent-ils et croisent-ils leurs savoir-faire respectifs ? Comment les compétences académiques, acquises par la recherche, peuvent-elles être transférées et adaptées aux contextes professionnels ? Réciproquement, comment les compétences pratiques peuvent-elles influencer et enrichir les méthodologies de recherche ? Par ailleurs, une réflexion critique est nécessaire pour évaluer si les compétences des praticiens sont suffisamment prises en compte dans la recherche académique. Une des pistes est suggérée par la mobilisation du concept de pre-understanding (Alvesson et Sandberg, 2022) permettant de mieux comprendre les connaissances et les perceptions préexistantes que les chercheurs et les praticiens apportent à leurs travaux respectifs.
Dynamiques de co-création et de transfert des savoirs entre recherche et pratique : vers un modèle intégratif d'apprentissage organisationnel ? Cette deuxième perspective est celle des connaissances (Nonaka et Von Krogh, 2009). Le processus interactif recherche-pratique implique une collaboration étroite entre chercheurs et praticiens qui dépasse la transmission unidirectionnelle de connaissances (Gilbert et Raulet-Croset, 2023). Pourtant, force est de constater un manque de recherches empiriques sur les interactions entre les universitaires et les praticiens. Comment les connaissances générées par la recherche académique sont-elles intégrées et appliquées dans les pratiques professionnelles ? Comment les expériences des praticiens peuvent-elles enrichir les connaissances théoriques ? Quels sont les mécanismes de transfert de connaissances entre la recherche et la pratique ? L'enseignement constitue lui aussi une forme de transfert de savoir, où les expériences des praticiens enrichissent les contenus académiques. Cette dynamique est supposée renforcer l'apprentissage des étudiants et créer un pont plus solide entre théorie et pratique. Comment intégrer les retours d'expérience des praticiens et des étudiants eux-mêmes dans les programmes éducatifs ? Au-delà d’une superposition des apports d’enseignants et de praticiens, à quelles conditions, l’enseignement peut-il jouer un rôle d’interface, favorisant les interactions, voire proposant des pistes de réconciliation entre théorie et pratique ?
Capacités dynamiques à l'interface recherche-pratique : leviers d'adaptation et sources d'avantage concurrentiel. Ce troisième axe se concentre sur les capacités dynamiques (Teece, Pisano, et Shuen, 1997). Cette approche prend en compte non seulement les aspects statiques des ressources mais aussi leurs dimensions dynamiques et transformatrices offrant une vision processuelle des interactions entre recherche et pratique. Les capacités dynamiques, en tant que processus délibérés et intentionnels, ne sont pas seulement réactives mais doivent également être vues comme un moyen d'évolution continue des ressources des organisations (Ambrosini, Bowman, et Collier, 2009). En considérant les capacités dynamiques comme des combinaisons de ressources uniques et difficiles à imiter, il est essentiel d'explorer comment des configurations spécifiques recherche-pratique peuvent offrir un avantage concurrentiel durable (Teece, 2007), à la fois pour les entreprises et pour les écoles ou universités sur un marché globalisé. Dans quelle mesure la collaboration recherche-pratique peut-elle être considérée comme une capacité dynamique en soi pour les organisations ? Quels sont les processus spécifiques par lesquels les capacités dynamiques permettent l'intégration des savoirs académiques dans les pratiques managériales ? En quoi l'approche des capacités dynamiques modifie-t-elle notre compréhension du rôle et de la contribution des universités et des écoles de management dans l'écosystème d'innovation ?
Écosystèmes collaboratifs académie-industrie : impacts sur l'apprentissage et la création de valeur mutuelle. Ce quatrième axe est celui de l'approche relationnelle (Dyer et Singh, 1998), qui examine comment les relations, telles que les alliances et les partenariats (chaires, contrats de recherche…) influencent l'apprentissage concurrentiel et la gestion des ressources. Les écosystèmes collaboratifs entre les laboratoires de recherche et l'industrie représentent un modèle émergent d'innovation et de création de valeur. Ces partenariats dépassent les collaborations ponctuelles pour former des réseaux durables d'échange et de co-création. Cependant, la gestion de ces écosystèmes pose des défis. Aligner les intérêts, gérer la propriété intellectuelle, et maintenir l'équilibre entre recherche fondamentale et appliquée requièrent une gouvernance soigneusement élaborée. Comment ces relations peuvent-elles soutenir une meilleure synergie entre recherche et pratique ? Quels sont les modes gouvernance adaptés pour gérer ce type de relations ? Dans quelles conditions, les collaborations entre chercheurs et praticiens peuvent-elles faciliter l'apprentissage conjoint et l'enrichissement mutuel des partenaires ? Quels sont les acteurs passerelle facilitant ces échanges ? Ces interactions permettent-elles de construire un véritable capital relationnel ? Ces thématiques ne sont pas limitatives et nous encourageons la soumission de communications de nature diverse portant sur le lien entre pratique et recherche, qu'il s'agisse d'analyses empiriques quantitatives ou qualitatives, d'explorations théoriques, épistémologiques ou méthodologiques. Les propositions de doctorants, qu’ils soient PhD ou DBA sont naturellement les bienvenues, tout comme celles de chercheurs confirmés ou directeurs de recherche. Les propositions seront évaluées sur leur capacité à aborder de manière critique et nuancée les interactions entre ressources académiques et pratiques professionnelles, leur rigueur académique et leur pertinence pour les axes de réflexion de la conférence.