La méthode des cas est remise en cause dans les formations en entrepreneuriat. De nombreuses approches pédagogiques offrent en effet un apprentissage stimulé par des projets qui ont pour objet de changer, au-delà du milieu scolaire, des représentations et des pratiques existantes. Nous faisons l’hypothèse que ces approches forment un nouveau modèle de formation : la méthode basée sur l’impact. Les effets de cette méthode sont multiples : les étudiants hétéronomes deviennent plus autonomes, le savoir abstrait et formel devient plus situé, la culture homogène de l’école est plus diverse et hétérogène ; enfin, le système n’est plus tourné vers un monde global mais aussi ancré dans des activités très locales. Si notre propos se limite au champ de l’entrepreneuriat, nous montrons que cette nouvelle méthode permet d’adresser plusieurs des critiques récurrentes faites aux écoles de commerce.
A la suite d’auteurs critiques sur la manière dont est enseignée la gestion dans les écoles de management, nous avons cherché à développer un dispositif pédagogique visant à : (1) redonner toute leur richesse aux situations de gestion, loin des modèles simplistes et stéréotypés ; et (2) demander une attitude plus active de la part des étudiants dans cette recherche de complexité.
Pour y parvenir, la méthode du Maître Ignorant (Rancière, 1987) (dite aussi méthode « Jacotot ») a été retenue et adaptée. Celle-ci se démarque des méthodes explicatives classiques et des pédagogies actives par le fait qu’elle suppose l’égalité entre le maître et l’apprenant : ce faisant, elle ne vise pas à amener l’apprenant à reconstituer un savoir préétabli, mais plutôt à lui faire prendre confiance en ses capacités à constituer un savoir, quel qu’il soit, sur un sujet. Cette méthode a été testée auprès de 234 étudiants durant quatre expériences dans différents programmes d’une business school. Les résultats montrent un intérêt et une bonne appropriation de la connaissance par les apprenants, au détriment toutefois de certains aspects techniques de l’apprentissage. Cette expérience montre aussi la difficulté de mettre en œuvre, dans un cadre institutionnel qui impose certaines contraintes, les principes d’une méthode par nature profondément critique.
Les enseignants-chercheurs en gestion que nous sommes mobilisent de plus en plus des extraits de fiction, films, séries TV ou documentaires, pour animer nos cours. Dans cet essai, nous nous penchons sur ce phénomène récent et en particulier sur la tendance à tirer des leçons de gestion (stratégie, leadership et/ou management, etc.) de personnages de fictions contemporains. Pour cela, nous analysons plus particulièrement le cas de Franck Underwood, personnage central de la série TV étatsunienne House of Cards. En effet, la réussite de ce personnage a nourri une activité éditoriale conséquente sur internet ou dans la presse spécialisée où les « leçons » de son succès sont proposées aux employés, cadres et dirigeants. En tant qu’enseignants-chercheurs en gestion, les leçons que divers commentateurs tirent de ce personnage pourtant très discutable nous questionnent : jusqu’où la fiction peut-elle informer la réalité ? La simple réussite, quels que soient les moyens utilisés pour y arriver, donne t’elle la légitimité de donner des leçons ? Que valent ces leçons et comment peut-on les utiliser le cas échéant ? Une analyse de contenu thématique de 27 sources collectées en janvier et décembre 2016 nous a permis d’identifier 76 leçons et de les regrouper en trois grandes catégories : des leçons concernant (i) la relation que le stratège entretient à lui-même, (ii) les relations vis-à-vis de ses collaborateurs et (iii) vis-à-vis d’autrui plus généralement (notamment les adversaires ou alliés potentiels). Il s’avère qu’une part conséquente de ces leçons fait l’objet d’une interprétation personnelle (et parfois de commentaires abondants) de la part des auteurs des sources analysées. Loin de l’intrigue, partiellement édulcorées du fait de la désolidarisation d’une partie des auteurs des aspects les plus sombres du personnage, ces leçons perdent de leur puissance. Enfin, certaines contradictions (liées à une fracture avec la vision instrumentale du personnage) leur font perdre en cohérence. Seules certaines d’entre elles reflètent un « précis de manipulation », les autres renvoient davantage à un « traité de management » somme toute assez classique. Donc : avait-on vraiment besoin de convoquer Franck Underwood pour dire cela ? Nous discutons ainsi de l’intérêt et des usages possibles du personnage et de la série en appui des enseignements en gestion.