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Peze Stéphan, Théron Christelle

Les enseignants-chercheurs en gestion que nous sommes mobilisent de plus en plus des extraits de fiction, films, séries TV ou documentaires, pour animer nos cours. Dans cet essai, nous nous penchons sur ce phénomène récent et en particulier sur la tendance à tirer des leçons de gestion (stratégie, leadership et/ou management, etc.) de personnages de fictions contemporains. Pour cela, nous analysons plus particulièrement le cas de Franck Underwood, personnage central de la série TV étatsunienne House of Cards. En effet, la réussite de ce personnage a nourri une activité éditoriale conséquente sur internet ou dans la presse spécialisée où les « leçons » de son succès sont proposées aux employés, cadres et dirigeants. En tant qu’enseignants-chercheurs en gestion, les leçons que divers commentateurs tirent de ce personnage pourtant très discutable nous questionnent : jusqu’où la fiction peut-elle informer la réalité ? La simple réussite, quels que soient les moyens utilisés pour y arriver, donne t’elle la légitimité de donner des leçons ? Que valent ces leçons et comment peut-on les utiliser le cas échéant ? Une analyse de contenu thématique de 27 sources collectées en janvier et décembre 2016 nous a permis d’identifier 76 leçons et de les regrouper en trois grandes catégories : des leçons concernant (i) la relation que le stratège entretient à lui-même, (ii) les relations vis-à-vis de ses collaborateurs et (iii) vis-à-vis d’autrui plus généralement (notamment les adversaires ou alliés potentiels). Il s’avère qu’une part conséquente de ces leçons fait l’objet d’une interprétation personnelle (et parfois de commentaires abondants) de la part des auteurs des sources analysées. Loin de l’intrigue, partiellement édulcorées du fait de la désolidarisation d’une partie des auteurs des aspects les plus sombres du personnage, ces leçons perdent de leur puissance. Enfin, certaines contradictions (liées à une fracture avec la vision instrumentale du personnage) leur font perdre en cohérence. Seules certaines d’entre elles reflètent un « précis de manipulation », les autres renvoient davantage à un « traité de management » somme toute assez classique. Donc : avait-on vraiment besoin de convoquer Franck Underwood pour dire cela ? Nous discutons ainsi de l’intérêt et des usages possibles du personnage et de la série en appui des enseignements en gestion.