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Auregan Pascal, Tellier Alberic

L’objectif de ce papier est de contribuer au débat sur la robustesse théorique de l’approche de la stratégie par les règles simples, essentiellement développée par Kathleen Eisenhardt, en mobilisant des développements récents des sciences du vivant. Ces travaux sur la « simplexité » montrent en effet la nécessité qu’ont les êtres vivants à utiliser des règles simples pour répondre à la complexité de leur environnement. Les règles simples sont des raccourcis cognitifs qui permettent d’économiser du temps et des efforts en centrant l’attention et en simplifiant le traitement de l’information. La première partie de l’article permet de revenir sur cette approche de la stratégie et les critiques dont elle fait l’objet. Dans la deuxième partie, nous montrons que ces critiques doivent être relativisées en mobilisant la théorie naissante de la simplexité. La simplexité désigne l’ensemble des solutions élaborées par les organismes vivants pour faire face à la complexité de leur environnement. Pour ses partisans, la simplexité est une des propriétés fondamentales du vivant. Tous les animaux et les êtres humains développent des processus simplexes pour survivre et se développer. Un processus est dit simplexe s’il permet de répondre à la complexité par une combinaison de règles simples. La théorie de la simplexité a été essentiellement développée par le neurophysiologiste Alain Berthoz. L’auteur (2009) montre pourquoi les êtres vivants sont dans l’obligation d’avoir recours à des processus simplexes et aborde les mécanismes qui permettent le développement de ces processus. Ces mécanismes reposent sur six principes : la spécialisation et la sélection - l’inhibition - l’anticipation probabiliste – le détour - la coopération et la redondance – le sens. Dans une troisième partie enfin, nous tentons de cerner les apports potentiels de ces travaux issus des sciences du vivant pour l’approche de la stratégie par les règles simples. Nous montrons que bon nombre des caractéristiques de la simplexité sont présentes dans l’approche défendue par Eisenhardt et ses collègues, à la fois dans la nécessité de recourir à des processus décisionnels simplexes et dans les modes de production de ces processus. La simplexité semble ainsi offrir un cadre théorique susceptible de renforcer la pertinence et l’intérêt des règles simples en management stratégique. Cependant, la mobilisation de la simplexité permet également de mettre en évidence les insuffisances actuelles de l’approche de la stratégie par les règles simples et d’envisager des pistes pour la densifier. Tout d’abord, les questions de la fiabilité, de la spécialisation et de la sélection semblent encore peu abordées. Ensuite, la notion de redondance semble utilisée de manière différente dans les deux courants que nous avons rapprochés. Enfin, les travaux d’Eisenhardt et ses collègues éclairent encore très partiellement les conditions d’émergence et de renouvellement des règles, notamment le rôle joué par la vision stratégique.