AIMS

ST-AIMS 09 : MACCA : Comment former des managers davantage incarnés ?

 

 

 

Responsables

 

Isabelle Vandangeon-Derumez (Université d’Evry Val d’Essonne – Université Paris Saclay, Laboratoire de recherche LITEM) – isabelle.derumez@univ-evry.fr

Philippe Lépinard (Université Paris Est Créteil, IAE Gustave Eiffel, Laboratoire de recherche IRG (EA 2354)) – philippe.lepinard@u-pec.fr

Christophe Vignon (Université de Rennes 1, IGR/IAE, laboratoire CREM UMR CNRS 6211) – christophe.vignon@univ-rennes1.fr

Caroline Ruiller (Université de Rennes 1, IGR/IAE, laboratoire CREM UMR CNRS 6211) – caroline.ruiller@univ-rennes1.fr

 

 

Mots-clés : Enseignement du management – Réflexivité – Vulnérabilité – Manager incarné

L’enseignement du management reste majoritairement instrumental. Il apparaît de plus en plus difficile d’introduire des enseignements critiques dans les business schools. Le contexte institutionnel a considérablement évolué depuis le début du XXIème siècle en réduisant les marges de manœuvre des enseignants critiques (Perriton & Reynold, 2018). Une issue à cette impasse consiste à immiscer des enseignements critiques dans les espaces limités encore disponibles. Par exemple, Sambrook et Willmott (2014) proposent de créer des enseignements critiques en travaillant de manière progressive là où c'est possible.

Par ailleurs, historiquement, l’enseignement de la gestion avait négligé la prise en compte du corps et des émotions. Le management peut être analysé comme un processus de désincarnation jusqu’à la fin du XXème siècle (Dale & Burrell, 2000). L’entrée dans le XXIème siècle marque le « tournant de l’incarnation » (embodied turn) (Hassard, Holliday & Willmott, 2000) notamment avec les travaux sur la réflexivité et la vulnérabilité. Sous l’effet de différents mouvements inscrits dans la postmodernité – pratiques psycho-corporelles (Liogier, 2012), évolution des théories du genre (Butler, 2006), émergence de nouvelles conceptions théoriques féministes (Froidevaux-Metterie, 2021) et éco-féministes (Burgart-Goutal, 2020) – des approches moins rationnelles des processus organisationnels, tenant compte des phénomènes émotionnels (Fineman, 1993, 2008), se sont développées. Elles ont conduit à se questionner sur un nouveau rapport au corps, sous l’impulsion notamment de Rosalyn Diprose (2002). Ce rapport au corps constitue une voie essentielle de la relation éthique incarnée (Fotaki et Harding, 2018 ; Mandalaki et Fotaki, 2020) puisqu’il joue un rôle majeur dans l’action entrepreneuriale (Poldner et al., 2019), sociale et politique (Mandalaki et Fotaki, 2020).

Dans ce contexte institutionnel en pleine mutation, se réalise un virage vers un enseignement davantage incarné. Les modalités pédagogiques que peuvent mobiliser les enseignants sont, elles aussi concernées, tant par les questionnements précédemment évoqués que par les changements technologiques et environnementaux de ces dernières années. Différentes propositions s'ouvrent actuellement dans les établissements d'enseignement supérieur pour répondre à ces évolutions.

Trois grands axes de questionnement sont donc proposés dans cet appel à communication pour la ST-AIMS MACCA : la réflexivité, la vulnérabilité et les modalités pédagogiques.

La réflexivité : Les premières formulations du concept de réflexivité étaient très cognitives (Argyris et Schön, 1974). Celles-ci visaient à questionner les pratiques des managers (Schön, 1983) pour qu’ils apprennent, par l’expérience et à partir d’elle, à mieux s’adapter à leurs contextes.

Ce concept a beaucoup évolué depuis le début du XXIème siècle. La réflexivité est devenue plus axiologique et existentielle (Trehan et Rigg, 2005 ; Cunliffe, 2002), mais aussi, progressivement, plus critique (Cunliffe, 2004). En effet, la prise en compte des affects des étudiants peut leur permettre de devenir plus réflexifs par rapport à leurs expériences, ce qui constitue souvent le point de départ pour développer des formes de management plus collaboratives, responsables et éthiques.

La pédagogie réflexive ne vise pas seulement à rendre les managers plus efficients au sens économique du terme, mais aussi à les aider à adopter des comportements organisationnels plus éthiques. La pédagogie réflexive conduit à développer une compréhension de l’intérieur, au cœur de l’expérience vécue (Freire, 1972), dans laquelle l’enseignant aide les étudiants à reconnaître leur rôle et leur contribution dans la construction des réalités organisationnelles. Ceci requiert une approche qui soit moins normalisée et standardisée en vue de ré-humaniser les acteurs, et de leur permettre de développer des comportements plus éthiques (Cunliffe, 2018). Le principal défi consiste alors à proposer des dispositifs pédagogiques qui ancrent le savoir dans des problématiques managériales concrètes tout en restant vigilant aux prérequis pour les enseignants (leurs propres capacités réflexives) et aux risques (éco-anxiété, etc.) pour les étudiants. En effet, le travail réflexif peut susciter des réactions émotionnelles pour les enseignants et pour les étudiants qui les amènent à des remises en question radicales (Hibbert et Cunliffe, 2015). La confrontation à une expérience déplaisante peut conduire à révéler des fragilités que les enseignants ne sont pas toujours capables de prendre en charge. Simultanément, de telles situations encouragent les enseignants, comme les étudiants, à s’ouvrir à de nouveaux savoirs. Avec de telles pratiques pédagogiques, les corps sont mobilisés, que ce soit comme point de départ pour développer une conscience réflexive de soi ou comme lieu de somatisation résultant de l’expérience vécue. Ces phénomènes corporels, s’ils apparaissent essentiels au cheminement de l’apprentissage, n’en semblent pas moins difficiles à appréhender et à exprimer, tant du point de vue des enseignants que des étudiants.

Ces considérations sur la réflexivité, qui concernent autant les enseignants que les étudiants, nous conduisent à diverses questions : Comment aborder empiriquement la réflexivité ? Comment la conceptualiser ? La réflexivité des étudiants est directement liée à la relation de confiance qui se construit entre les enseignants et les étudiants, à la qualité du lien. Comment travailler ce lien dans des contextes institutionnels qui n’y sont pas toujours favorables ? La capacité réflexive est-elle plus difficile à mobiliser dans les grands groupes ?

La vulnérabilité .

Historiquement, la vulnérabilité est connotée négativement car elle dénote l’expression d’une faiblesse, d’une impuissance, d’une dépendance quand l'institution attend que les salariés, les managers, les dirigeants se conforment à des normes de contrôle de soi, de contenance émotionnelle, de qualités masculines (Corlett et al., 2019). La vulnérabilité a pourtant des effets vertueux bien qu’elle soit complexe à appréhender.

Depuis dix ans, le regard scientifique porté sur la vulnérabilité évolue pour l’associer à une capacité à prendre soin des autres, à incarner une nouvelle façon d’être en collégialité. La vulnérabilité est alors vue comme une qualité des leaders, des managers pour façonner une identité singulière qui va au-delà des idées établies et des prescriptions normatives associées à ces rôles (Corlett et al., 2021). La proposition de recherche associée tient à l’irréalisme d'une perfection inatteignable, et à la honte qui l'accompagne (Brown, 2010) car elle engendre la peur, stresse les professionnels, inhibe l'innovation et rend difficile la connexion avec les collègues, les étudiants et les parties prenantes (Hibbert et al., 2021).

Voici quelques questions que soulève la prise en compte de la vulnérabilité dans la formation au management : Comment accueillir et favoriser l’expression de la vulnérabilité des enseignants et des étudiants ? Comment le corps traduit-il cette vulnérabilité ? Les enseignants en management ont-ils les compétences et la légitimité pour accompagner de tels processus ? Quels sont les enjeux de cette reconnaissance de la vulnérabilité pour les pratiques managériales et pour l’incarnation éthique des managers ?

Ces deux thématiques de la réflexivité et de la vulnérabilité s’actualisent dans les modalités pédagogiques mises en œuvre dans des institutions qui y sont plus ou moins favorables et pour lesquelles l’évaluation demeure un enjeu clé.

Les modalités pédagogiques

Pour intégrer la réflexivité et la vulnérabilité dans l’enseignement du management, il apparaît nécessaire d’adapter les modalités pédagogiques. Ces dimensions se prêtent mal à un enseignement transmissif descendant. Or, l’enseignant en management s’insère dans un établissement lui-même enchâssé dans une institution publique ou privée qui a des comptes à rendre à ses tutelles, que celles-ci soient ministérielles ou chargées d’administrer des accréditations internationales. Les marges de manœuvre de l’enseignant ne sont pas illimitées. Pour pouvoir aménager ses intentions et ses dispositifs, il y a lieu de comprendre les attentes explicites et implicites des établissements et des étudiants, tout en se ménageant des espaces d’innovation. Il s’agit alors de développer des pédagogies plus actives pour mettre en route les corps et les esprits, mais également favoriser les échanges de paroles entre les apprenants, en leur permettant de se parler, de s’écouter et de mieux se comprendre.

Les pratiques évaluatives jouent également un rôle essentiel dans ces innovations. En effet, il semble difficile d’évaluer des apprentissages réflexifs avec un QCM. Les modalités d’évaluation doivent donc être pensées en amont des contenus et des dispositifs d’enseignement pour garantir une cohérence pédagogique. On privilégiera généralement les évaluations formatives aux évaluations sommatives. De plus, dans une visée systémique, l’évaluation peut devenir transverse à plusieurs cours de façon à voir comment les étudiants intègrent les apprentissages dans leurs registres d’action personnelle ou collective, par exemple dans des projets partagés. Malgré de telles précautions, l’évaluation de certaines pratiques reste un véritable défi. Ainsi, comment apprécier la qualité d’une pratique méditative ou ses effets ? Ces réflexions sollicitent de notre part une créativité évaluative, par exemple en développant l’auto-évaluation ou l’évaluation par les pairs.

La question de l’évaluation ne concerne pas que les étudiants. Comment valoriser de telles pratiques pédagogiques, dont on sait qu’elles exigent des apprentissages longs de la part des enseignants et un investissement personnel dans l’élaboration de modules de formation originaux ?

Cette thématique de la formation de manager davantage incarné des ST-AIMS MACCA, en lien direct avec la thématique des journées des 5 et 6 janvier 2023 à l’IAE de Rennes, n’exclue pas des communications sur les trois axes de travail plus généraux du GT-AIMS MACCA Management qui sont les suivants :

  • le premier axe, en référence aux mutations économiques et sociales, questionne l’apprentissage et l’enseignement du management aujourd’hui pour encourager la réflexivité́ et la créativité́ dans les organisations ;
  • le deuxième axe propose un examen des outils (par exemple, les outils ludopédagogiques, les Art-based methods, etc.), des supports de l’apprentissage (numérique, expérience, etc.), et des nouvelles approches (par exemple, neuropédagogie), comme moyen de développer la réflexivité́ et la créativité́ des apprenants tout au long de la vie ;
  • le troisième axe questionne le positionnement des institutions (écoles, mais aussi organisations au sens large) par rapport aux questions soulevées dans les deux axes précédents.
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