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Massey Maxime

L’intrapreneuriat est un levier d’innovation qui permet à des employés de porter un projet de start-up interne tout en restant rattachés à leur organisation. Le processus intrapreneurial se caractérise dès lors par une tension entre la nouvelle organisation et l’organisation existante. Cette tension peut être rapprochée de la tension entre l’exploration et l’exploitation, qui constituent deux régimes fondés sur des rationalités et des légitimités différentes voire divergentes. Pour concilier ces deux régimes contradictoires, la littérature a proposé le recours à la pratique de l’ambidextrie organisationnelle (soit la capacité d’une organisation à gérer simultanément l’exploration et l’exploitation) qui se retrouve dans la gestion des dispositifs intrapreneuriaux. La cohabitation de l’exploration et de l’exploitation est alors généralement opérée de manière dichotomique, à travers la séparation spatiale, temporelle et fonctionnelle des deux régimes. Bien qu’intéressante dans sa capacité à protéger les régimes contradictoires en les isolant, l’approche dichotomique présente des insuffisances pour appréhender la rencontre des deux activités. En effet, la littérature souligne aussi la nécessité de gérer les points de rencontre entre l’exploration et l’exploitation, qui se traduisent en pratique par des conflits. De là émerge une question : Comment concevoir les conflits entre l’exploration et l’exploitation tout le long du processus intrapreneurial ? Pour y répondre, cette recherche mène une étude longitudinale du dispositif intrapreneurial du Groupe La Poste, et concentre l’analyse sur les projets développés au sein de ce dispositif. Ce faisant, cette étude montre que l’approche de la séparation exploration/exploitation se retrouve dans la gestion du processus intrapreneurial via le dispositif intrapreneurial étudié. De plus, cette étude confirme que cette séparation, bien que nécessaire, est insuffisante pour gérer le processus intrapreneurial. En effet, au-delà de la séparation, il importe de gérer les conflits exploration/exploitation à trois stades du processus intrapreneurial : en amont du processus (transition de l’exploitation vers l’exploration) ; au cours du processus (superposition de l’exploration et de l’exploitation) ; en aval du processus (transition de l’exploration vers l’exploration). Finalement, cette recherche apporte plusieurs contributions dans les champs de l’intrapreneuriat et de l’ambidextrie. D’une part, elle permet de repenser l’intrapreneuriat comme la gestion des conflits entre l’exploration et l’exploitation. D’autre part, elle éclaire l’insuffisance de l’approche classique et dichotomique de l’ambidextrie pour penser et gérer le processus intrapreneurial à travers un dispositif dédié. En somme, il importe de concevoir la jonction exploration-exploitation, qui se traduit en pratique par des conflits. Ainsi convient-il de substituer à l’approche dichotomique (ou binaire) de l’ambidextrie une approche trichotomique (ou ternaire), c’est-à-dire permettant la gestion de non plus deux mais trois régimes : celui de l’exploration, celui de l’exploitation, et celui de la rencontre conflictuelle des deux premiers.

Massey Maxime, Bureau Sylvain

La littérature néo-institutionnelle souligne l’importance des enjeux de légitimité et de légitimation pour les entrepreneurs souhaitant diffuser une innovation. Plusieurs travaux envisagent l’isomorphisme, c’est-à-dire le fait de se conformer aux normes et aux pratiques existantes, comme un vecteur de cette légitimation. Pourtant, en innovant, les entrepreneurs sont souvent amenés à remettre en cause les institutions en place. À cet égard, les entrepreneurs pirates sont décrits comme des entrepreneurs qui préemptent des parcelles du territoire institutionnel normalisé pour y développer une activité déviante, voire illégale. Certains vont même jusqu’à mettre leur projet innovant au service d’une cause idéologique, en visant le renversement d’un système dominant le territoire institutionnel (comme un monopole ou l’État). Ils développent alors une pratique qui a été conceptualisée dans la littérature en entrepreneuriat sous le nom de subversion. La subversion, qui consiste à contester les instituons, apparait en contradiction avec la légitimation, qui consiste à respecter ces mêmes institutions. De là émerge notre question : comment les entrepreneurs pirates développent-ils la légitimation de leur activité alors même qu’ils questionnent les systèmes en place ? En suivant une approche fondée sur les processus, nous utilisons un design de recherche qualitatif et nous nous concentrons sur une étude de cas unique, en menant une enquête empirique sur la start-up Heetch (un « Uber français »). Nous proposons alors un modèle de légitimation des entrepreneurs pirates structurée en trois grandes étapes : (1) une piraterie clandestine associée au développement d’une légitimité informelle, (2) une piraterie subversive associée au développement d’une légitimité conflictuelle et (3) une piraterie tempérée associée au développement d’une légitimité formelle. Par cette analyse, nous apportons une meilleure compréhension du phénomène encore peu connu que constitue la transition d’une activité entrepreneuriale pirate vers une activité entrepreneuriale formellement légitime.