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STAIMS 4 : Perspectives critiques sur l’espace et le territoire en management stratégique : les enjeux de la spatialité

La géographie économique a depuis longtemps constitué une référence importante et féconde pour aborder certains objets centraux du management stratégique. Des districts industriels marshalliens aux clusters portériens pour penser les réseaux inter-organisationnels ; les régions apprenantes et milieux innovateurs comme supports de certaines théories de l’innovation, l’analyse stratégique s’est abondamment nourrie des concepts issus de l’économie et de la géographie économique que l’école française de la proximité a largement contribuée à formaliser et enrichir (Zimmermann, 2008).
 
Cependant, malgré cette fréquentation de longue date avec certaines de ces écoles, il faut faire le constat que les travaux en management stratégique n’ont guère eu recours à la dimension spatiale pour appréhender et analyser des problématiques autres que celle de la performance économique (Lauriol, Perret et Tannery, 2008). Pourtant, au-delà des relations économiques, l’espace, et les dimensions qui peuvent s’y rattacher (mobilité, territoire, place, distance), structure, contraint et habilite les rapports sociaux dans leurs dimensions affective, sociale, et politique. En outre, loin d’être un support de l’action neutre, déterminé et immuable, l’espace est également produit et transformé par l’expérience humaine et sociale. Dans une époque contemporaine marquée par l’espace (Soja, 1989 ; Lussault, 2007), il semble particulièrement important d’appréhender cette multi-dimensionnalité de l’espace afin de mieux saisir et comprendre la complexité des processus à l’œuvre et relever les défis qui se posent à la recherche en management stratégique. Il est impératif également d’investir les dimensions spatiales des processus et objets qu’analyse communément le management stratégique. Deux exemples, à des niveaux d’analyse différents, peuvent venir illustrer ces enjeux.
 
A un premier niveau on peut interroger les processus que l’on recouvre des mots “mondialisation“ ou “globalisation“ et qui ont fortement activé la dimension spatiale des processus organisationnels et stratégiques liés aux activités économiques. Avec l’abolition (supposée voire fantasmée) des frontières et les difficultés d’appréhension des distances qu’elle engendre, la mondialisation étend le champ de l’action stratégique et constitue une opportunité à saisir pour un certain nombre d’acteurs. Cependant, pour d’autres, par le cortège de délocalisations et de dérégulations qui l’accompagne, elle peut également être appréhendée comme un vecteur de régression sociale. La globalisation est pareillement vécue tour à tour comme une promesse d’ouverture et de démocratisation ou comme une catastrophe par les menaces d’uniformisation culturelle ou de perte de souveraineté politique qu’elle fait peser sur nos modes d’organisations.
 
A un niveau intra-organisationnel, on peut faire le constat que les équipes de travail sont de plus en plus souvent géographiquement dispersées, parfois dites “virtuelles“. Le management s’opère alors à distance et les espaces de travail sont souvent partagés, anonymisés et/ou “virtualisés“ (voir par exemple Halford, 2005 ; Kalika et Isaac, 2008).
Ces transformations ont été abondamment étudiées dans une perspective fonctionnaliste, amenant la recherche en management à identifier les bonnes pratiques et les modalités qui soutiennent et justifient le « bon » déploiement de ces innovations : gestion du changement, management international, pilotage de la performance, gouvernance, etc... D’autres travaux cependant ont dénoncé les excès des reconfigurations de l’organisation du travail davantage virtuelle et distanciée, notamment dans les termes d’une perte de sens et d’une “disciplinarisation“ croissante des travailleurs, à l’encontre des vertus annoncées : gains en pouvoir d’achat, en responsabilisation, en autonomie, voire en indépendance (voir par exemple Carter et al., 2011 ; Leclercq – Vandelannoitte, Isaac et Kalika, 2014 ; Taskin et Raone, 2014).
 
Ces transformations impliquent et modifient les territoires, les espaces sociaux et les rapports idéels et matériels à l’espace (Veschambre, 2006 ; Ripoll et Veschambre, 2006 ; Hérin, 2013 ; Di Méo et Buléon, 2005). Afin d’être mieux appréhendées, elles nécessitent d’avoir recours à des grilles de lecture, des concepts et des outils, que la géographie sociale a mis au cœur de son agenda de recherche depuis quelques décennies maintenant. Le potentiel enrichissement d’une rencontre entre la géographie sociale et les autres sciences humaines et sociales a d’ailleurs été souligné (Ripoll, 2006 ; Warf et Arias, 2009). Dans le champ du management stratégique, l’ouvrage collectif édité par Clegg et Kornberger (2006) montrait l’intérêt d’un tel dialogue pour l’analyse organisationnelle. Dans le champ des études critiques en management on peut relever un certain nombre de travaux qui mobilisent les concepts de la géographie sociale. Par exemple les concepts d’échelle spatiale et de spatialité sont au centre de l’analyse des relations de pouvoir et des conflits dans les pratiques de travail développée par Herod, Rainnie et McGrath-Champ (2007). Elles servent également à appréhender la dynamique de transformation des logiques organisationnelles dans la recherche menée par Spicer (2006). La construction sociale de la frontière spatiale d’une organisation peut également être conçue comme un outil de gestion de la culture et de contrôle des employés (Fleming et Spicer, 2004). Plus récemment, Ropo, Sauer et Salovaara (2013), analysent le rôle performatif de l’espace dans la construction du leadership.
 
Dans cette lignée de recherche, le travail d’Henri Lefebvre (1974) est régulièrement mobilisé pour repenser certaines problématiques centrales du management stratégique. C’est par exemple le cas de Dale (2005) qui propose une analyse socio-matérielle des transformations des modes de contrôle organisationnel, ou de l’étude empirique de Fahy, Easterby-Smith et Lervik (2013) qui mobilise la perspective temporelle et spatiale d’Henri Lefebvre pour appréhender les processus de construction identitaire et les relations de pouvoir en jeu dans l’apprentissage organisationnel.
 
Le dialogue entre la géographie sociale et le management stratégique semble donc prometteur. Il permet de considérer les espaces sociaux, les stratégies spatialisées, les processus d’appropriation spatiale (Gravari-Barbas et Ripoll, 2010 ; Ripoll et Veschambre, 2006), c’est-à- dire la territorialité, comme une composante importante du comportement stratégique des organisations et de leurs parties prenantes mais aussi de l’identification au travail et de l’action collective et individuelle (Dumont, 2007). Ce dialogue est susceptible de nourrir nombre de problématiques de management stratégique, à des niveaux d’analyse variés, autour des questions de la construction spatiale du management (nouvelles formes d’organisation du travail et de rapports sociaux dans les organisations, management interculturel) et de la stratégie (chaines globales de valeur, délocalisation, restructurations et transformations organisationnelles). Les recherches en management public qui mobilisent la question du territoire ou celles dans le champ de la responsabilité sociétale de l’entreprise qui se confrontent à la question de la globalisation peuvent également trouver dans cette rencontre une manière d’enrichir leur réflexion.
 
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