Le présent document s'inscrit dans un courant de recherche sur la gestion des crises qui remet en question l'idée de la prévisibilité et de la contrôlabilité des crises. Des chercheurs comme Perrow (1984) les définissent même comme étant inévitables et normales. Nous avançons l'idée que considérer les crises comme normales, c'est-à-dire comme un phénomène incompressible auquel les gestionnaires ne peuvent échapper, signifie reconnaître leur essence tragique intrinsèque. En tant que tel, nous utilisons la tragédie grecque non pas comme une métaphore pour caractériser les conséquences des crises comme le font habituellement les auteurs, mais comme une lentille analytique pour les conceptualiser comme des processus irréductibles malgré toutes les stratégies déployées pour les prévenir, les contrôler et les gérer, sans laisser aux gestionnaires la possibilité de changer la trajectoire des évènements exactement comme le héros grec tragique qui lutte contre son destin.
Plus spécifiquement, notre article a pour objectif d’explorer la nature tragique des crises afin de découvrir leur caractère inexorable, insurmontable et irrémédiable et les stratégies adoptées par les gestionnaires lorsqu'ils sont pris au piège d'évènements qui échappent à leur contrôle et à leur compréhension. Pour ce faire, nous nous appuyons sur les connaissances accumulées sur la tragédie grecque telles que proposées par les chercheurs de la littérature classique, les philosophes et en particulier par Clément Rosset (2014), pour mettre en évidence des facettes insoupçonnées des crises et de leur gestion. L'application de cette grille d'analyse nous permet d'apporter deux contributions théoriques à la littérature sur la gestion des crises : une définition renouvelée de la crise et un modèle de développement des crises que nous appelons le cycle tragique dans lequel nous soulignons les stratégies de gestion et d’anticipations mises en œuvre par les gestionnaires lorsqu’ils se retrouvent pris dans le piège inéluctable et tragique de la crise.
Dans leurs stratégies d’anticipation du management de crise (emergency management), les décideurs politiques intègrent rarement les capacités des individus en situation de handicap, bien que cette population soit une des plus vulnérables en cas de crise. Pourtant, l’inclusion des besoins des personnes en situation de handicap pourrait augmenter la capacité de résilience globale – par exemple, une telle stratégie de résilience inclurait également les capacités des personnes qui pourraient devenir handicapées en raison de la catastrophe elle-même et les personnes âgées. Les stratégies de résilience inclusive ont pour objectif d’assurer la collaboration des parties-prenantes lors de la planification (emergency planning) et la gestion de la crise (emergency management) afin d’anticiper les risques encourus par tous les citoyens, tout en prenant en compte trois grandes temporalités : avant, durant et après la crise. Cela implique également de créer les conditions de participation des personnes handicapées et des personnes âgées à l'élaboration des politiques publiques en tant qu'acteurs à part entière. Nous cherchons donc à déterminer quels facteurs organisationnels garantissent en pratique l’anticipation des besoins des personnes en situation de handicap dans les stratégies de résilience à l’échelle d’une ville, permettant une résilience inclusive. Afin d’évaluer la capacité d’inclusion des stratégies de résilience urbaine actuellement mises en place par des villes considérées comme particulièrement à risque et avancées en termes de résilience, nous avons analysé les trois cas suivants : San Francisco, Tokyo et Londres. Les études de cas ont été homogénéisées malgré les différences culturelles et politiques des trois villes, grâce à l’utilisation d’une grille analytique. Les résultats démontrent l’importance des initiatives et de la collaboration des parties-prenantes dans la mise en place d’une stratégie de résilience incluant efficacement les personnes en situation de handicap. A titre d’exemple, l’action politique des organisations de personnes handicapées à San Francisco a permis l’adoption d’une structure organisationnelle favorisant l’inclusion des besoins des citoyens handicapés dans la stratégie de résilience. Pour conclure, nos résultats invitent à inclure directement les citoyens dans le processus de planification et dans l’élaboration de scénarios, afin d’anticiper les risques et les besoins engendrés par une potentielle crise.
Si l’anticipation s’inscrit dans les recherches sur le futur et la prospective, son caractère directement utilitaire lui procure un statut particulier qui permet d’aborder l’évaluation du rôle de la préparation de l’avenir sous un angle renouvelé, celui des pratiques. En dissociant la temporalité dans laquelle s’inscrit le processus organisationnel d’anticipation et la temporalité de son utilisation sur le terrain, il est possible d’étudier le rôle de l’irruption de l’événement dans la modification de la relation à l’anticipation des pratiques adoptées pour l’atteinte d’un objectif stratégique. Deux cas très contrastés en conditions extrêmes seront présentés : d’une part, des extraits du cas historique de la campagne d'Italie de Bonaparte en 1796, et de l’autre un cas récent de course transatlantique en solitaire à la voile. Les deux approches méthodologiques sont très différentes mais complémentaires : approche historique pour le premier cas, approche en immersion ethnographique pour le second. Les deux cas mettent en exergue l’importance et les limites de l’anticipation comme processus organisationnel, d’une part, l’importance de la préparation mais aussi de la créativité des acteurs de terrain, ainsi que les liens complexes entre anticipation et performance de pratiques sur le terrain. Ces résultats invitent à développer une réflexion plus approfondie sur la nature de l’événement et son rôle dans les recherches prospectives. Ils interrogent aussi l'interdépendance de l'action avec les choix effectués par les praticiens dans le contexte des organisations.
D’une relation d’opposition, les ONG environnementales développent de plus en plus des relations de partenariats avec les entreprises privées. Ce changement dans la relation avec ces acteurs aux intérêts souvent divergents peut engendrer des tensions paradoxales entre les valeurs de l’organisation d’une part et les moyens mis en œuvre d’autre part. En jugeant s’il s’agit de la « bonne chose à faire », les salariés des ONG environnementales peuvent réévaluer la légitimité morale d’une telle pratique. S’interroger sur la légitimité des partenariats permet d’anticiper les risques liés cette tension et d’interroger la pertinence des dispositifs discursifs et non discursifs mis en place. Dans la continuité des travaux établis sur les théories strategy-as-practice, il s’agit de placer les membres de l’organisation, et plus particulièrement les salariés, au cœur de la stratégie de légitimation. C’est à travers leur jugement de l’adéquation entre les valeurs de l’ONG et les moyens mis en œuvre que les salariés confirment ou infirment le discours porté par les dirigeants de l’organisation. L’objectif de la présente recherche est d’analyser la stratégie de légitimation des ONG environnementales liée aux partenariats avec les entreprises privées à travers l’interprétation qui en est faite par les salariés. Pour ce faire, nous nous intéressons aux partenariats comme objet de tensions paradoxales du fait d’une contradiction entre les valeurs et les moyens mis en œuvre. La mise en exergue de ces tensions induit une question d’ordre éthique sur la « bonne façon de faire » au sein même de l’organisation. De fait, le résultat de ce jugement par les membres salariés peut impacter la légitimité morale de l’ONG environnementale. Sur la base de 30 entretiens semi-directifs avec les salariés ou anciens salariés de trois ONG environnementales, nous nous intéressons aux facteurs internes ou externes qui mettent en exergue la tension paradoxale. Aussi, en s’appuyant sur les travaux de Tost (2011), nous montrons comment les salariés s’engagent dans une réflexion sur le sujet et dans quelle mesure les considérations éthiques impactent leur jugement. En cas de dissonance ou de contradictions perçues, les salariés s’engagent dans une activité de rationalisation. Ils s’appuient ainsi sur des procédures ainsi que sur des discussions formelles ou informelles, qui, de fait, s’intègrent dans une stratégie de légitimation de l’ONG environnementale vis-à-vis de ses partenaires privés. Notre contribution permet ainsi de mettre en avant les conséquences du paradoxe éthique lié à la mise en place de partenariats avec les entreprises privées et les implications sur la stratégie de légitimation au sein des ONG environnementales. Une meilleure compréhension de la légitimité des partenariats permet d’anticiper non seulement les risques liés cette tension mais également de mieux comprendre la pertinence des dispositifs discursifs et non-discursifs à mettre en place.