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Steux Chloé, Aggeri Franck

L’éco-conception, qui consiste à intégrer l’environnement dans la conception de produits et services, constitue aujourd’hui un levier prometteur pour la transition écologique. En effet, l’objectif de l’éco-conception est de réduire les impacts environnementaux du produit tout au long de son cycle de vie, de l’extraction des matières premières à la fin de vie. Le cadrage dominant de l’éco-conception repose sur une hypothèse centrale, à savoir que l’éco-conception est le fruit d'initiatives individuelles d'entreprises qui mettent en place de façon volontaire des démarches instrumentées fondées sur des outils d'évaluation environnementale pour guider les concepteurs et informer les clients de la valeur environnementale des produits/services éco-conçus par le biais de l'affichage environnemental. Ainsi, le modèle dominant de l'éco-conception laisse penser que la démarche, initiée à l'échelle de l'entreprise, se diffuse au sein de l’entreprise par des discours mobilisateurs et des outils adaptés. Cette approche revient à négliger le rôle des écosystèmes industriels et d'affaire, c'est-à-dire l’ensemble des acteurs susceptibles d’influencer la façon d’appréhender et de déployer l’éco-conception, qui jouent parfois un rôle déterminant dans le déploiement et l’acceptabilité des éco-innovations qui en découlent. Distributeurs, clients, législateurs, ONG, organismes publics ou privés accompagnant le déploiement de la démarche, bien que situés à différents maillons de la chaîne de valeur, sont autant d’acteurs qui peuvent influencer ou participer au processus d'éco-conception. Nous nous interrogeons sur le pouvoir qu’ont ces acteurs à orienter la démarche d’éco-conception des entreprises ; sur la nature des interactions et des precriptions qui se nouent entre acteurs de l’écosystème et entreprise déployant la démarche, et sur les effets de ces relations sur la structuration des démarches d’éco-conception en entreprise. Pour répondre à ces questions, nous mobilisons deux cadres théoriques : les travaux sur l'innovation responsable qui mettent en avant que les innovations ne sont pas seulement évaluées en fonction de leurs performances affichées mais également en fonction de leur légitimité perçue par la société, qui dépend de la capacité des entreprises à associer des parties prenantes aux processus et à la gouvernance de l'innovation ; ainsi que les travaux en sociologie économique et les théories de la prescription qui mettent en évidence qu’entre les producteurs et les consommateurs, une multitude d'intermédiaires participent à la construction de l’offre et de la demande et à leur mise en relation marchande, par le biais de prescriptions réciproques. Une recherche qualitative compréhensive a été menée et se fonde sur 23 entretiens réalisés auprès d'entreprises pionnières ayant mis en œuvre des démarches d'éco-conception et développé des gammes de produits-services écologiques, et d’acteurs de l’écosystème de ces entreprises jouant un rôle important dans les processus d'éco-conception. Le type de relations et de prescriptions développées entre acteurs de l’écosystème et entreprises éco-conceptrices, ainsi que le degré de leur intensité ont été analysés. Nous mettons en évidence que les entreprises qui arrivent à développer des propositions de valeur qui intéressent les clients et la société sont celles qui ont une approche inclusive de l'éco-innovation à partir d'un réseau dense de relations avec les parties prenantes, en dépit d'intérêts potentiellement divergents. À l'inverse, celles qui ont une approche fermée échouent le plus souvent à légitimer et à intéresser consommateurs et citoyens à leur démarche.