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Jamin Bénédicte

La recherche interroge le choix stratégique de l’ambivalence qui, couplé à un processus de création et/ou de gestion dynamique de sens, tendrait à accroitre la capacité de résilience d’une organisation. Elle est centrée sur le cas unique du musée du Louvre-Lens, qui a ouvert ses portes le 4 décembre 2012 sur un ancien carreau de mine, dans le département français du Pas-de-Calais. Engagés dans un partenariat étroit et novateur, les fondateurs du musée ont, tout au long de la construction du projet, affiché une volonté commune de « rapprocher les populations des oeuvres ». Pourtant, sa dénomination « Louvre-Lens » induit une ambivalence de sens, héritée de sa double filiation : Louvre & territoire. Pour les décideurs du célèbre musée parisien, cette antenne régionale a un sens socio-culturel : elle répond à un double objectif de décentralisation et de démocratisation culturelles. Tandis que pour les représentants des collectivités territoriales de l'ancien bassin minier – financeurs du musée –le Louvre-Lens a un sens économique : il représente, sur le modèle du musée Guggenheim à Bilbao, une entreprise de revitalisation économique, par la culture, d’un territoire sinistré depuis la fermeture des mines dans les années 60. Le musée a connu tous les succès pendant les deux premières années. Ensuite les chiffres de fréquentation et les retombées économiques – tombés en dessous des prévisions – ont déçu. L’ambivalence s’est alors dégradée en une série d’ambiguïtés qui a eu pour conséquence de relancer les débats sur la pertinence d’un Louvre « au pays des corons ». Les dirigeants successifs du Louvre-Lens ont alors été contraints d’adapter leurs stratégies pour, dans un premier temps, recouvrer la situation d’avant ces déconvenues, puis, dans un second temps, sortir renforcés de cette crise. Cette contribution vise à déterminer dans quelle mesure la volonté de construire un projet fondé sur une ambivalence peut, à la fois, constituer une source de risques (comme l’ambiguïté) et être facteur de résilience dans une organisation. Pour ce faire, le concept d’ambivalence (Baek,2010) enrichi à la lumière de la théorie du Sensemaking (Karl Weick, 1979, 2001) a été réinterprété notamment au regard des dirigeants (Vidaillet, 2003). Ceux-ci peuvent se retrouver face à des situations d’ambivalences (Ashforth et al., 2014) voire d’ambiguïtés (Maitlis, Christianson, 2014) les conduisant à adapter leur stratégie de résilience, notamment au travers d’un apprentissage des crises et de transformations organisationnelles (Weick et Sutcliffe, 2007 ; Van der Vegt, Essens, Wahlstrom & George, 2015). La démarche qualitative de cette recherche emprunte les méthodes de la théorie enracinée et conduit à un raisonnement abductif. Les dirigeants du musée ont mobilisé parmi les outils de sensemaking à disposition (ou à créer) les plus adaptés aux circonstances. Selon les moments, ils ont mis en place des mécanismes de défense de court terme (évitement et domination) pour lutter contre les effets indésirables des ambiguïtés et restaurer les sens détériorés. A d’autres étapes, ils se sont réappropriés l’ambivalence (compromis et approche holistique) afin d’en faire un réel objet de résilience et, par là même, (re)créer un (ou des) sens partagé(s) par tous.