La littérature sur les coopératives met en avant l’aspect collectif dans leur gestion, via des modes démocratiques de gouvernance (« un membre, une voix »), bien que les coopératives soient très hétérogènes. Si le principe général demeure, on peut s’interroger sur la façon dont le pouvoir peut s’exercer dans les coopératives. Nous introduisons alors le concept de leadership institutionnel qui permet de montrer comment un leader (terme pris au sens large ; il ne s’agit pas nécessairement d’un individu, mais ce peut être un groupe d’individus, dans notre cas une dynastie de managers professionnels) peut « infuser des valeurs » au sens de Selznick (1949 ; 1957) en redéfinissant les buts et la raison d’être de l’organisation. Le paradoxe entre la gestion collective des coopératives et leadership institutionnel sera alors abordé à travers l’étude du cas Tereos, coopérative de 12000 membres (des exploitations agricoles uniquement betteravières jusqu’à 2017, féculières également depuis) qui est un industriel transformateur de matières premières agricoles au niveau mondial.
Nous avons mené une démarche qualitative de nature compréhensive : des données primaires (une dizaine d’entretiens semi-directifs) et secondaires (presse, internet) ont été collectées. L’analyse à partir de chronologies a permis d’élaborer une narration du cas et de mettre en évidence le rôle de la dynastie de managers professionnels (la famille Duval sur trois générations depuis 70 ans). Les résultats sont présentés sous la forme d’un mécanisme d’institutionnalisation reposant sur deux composants qui, analysés conjointement, permettent de comprendre la réussite de Tereos : le découplage progressif entre l’objet technique initial de la coopérative (transformer de la betterave) et la raison d’être (purpose) (être un acteur mondial de la valorisation de matières premières agricoles), et la volonté de pérennité à travers un projet industriel, incarnée par la dynastie familiale de managers professionnels.
La Méditerranée est un écosystème gravement menacé par une combinaison de pressions anthropiques, dont la surpêche. Dans cet espace morcelé et instable, 90% des stocks de poissons évalués sont en surexploitation. D’autres problèmes viennent se rajouter –comme le plastique, la pollution acoustique ou les espèces invasives– et rendent d’autant plus complexe la gestion des ressources communes. L’enjeu majeur consiste à trouver des solutions de gestion pérennes des ressources alimentaires marines dans cette région, tout en respectant les objectifs de développement durable des Nations Unies. Cet article cherche à améliorer notre compréhension des systèmes alimentaires marins locaux ainsi que des conditions pour les rendre plus durables. L’étude porte sur trois grands facteurs interdépendants : pratiques durables de pêches et des systèmes d’approvisionnement ; normes et institutions influençant ces systèmes ; engagement des parties prenantes.
Les questions de durabilité confrontent les entreprises à de multiples tensions paradoxales (Hahn et al., 2015) dont l'impact dépend surtout de la façon dont les individus les considèrent et y réagissent (Smith & Lewis, 2011). L’expérience de ces tensions est en effet souvent considérée dans la littérature comme une épée à double tranchant, pouvant permettre l’excellence à court terme comme la réussite à long terme, mais aussi engendrer de l'anxiété et des attitudes défensives contreproductives (Lewis, 2000 ; Smith & Lewis, 2011 ; Ingram et al. 2016 ; Miron-Spektor et al., 2017). Puisqu’il est vain d’espérer venir à bout des paradoxes (Koenig, 1996), la durabilité d’entreprise relève ainsi davantage d’une capacité que d’un résultat. La théorie des paradoxes (Lewis, 2000 ; Smith & Lewis, 2011 ; Lewis & Smith, 2014) postule en effet que celle-ci tient dans une capacité à gérer des exigences partiellement contradictoires. A travers ce prisme théorique, la présente communication étudie en quoi des systèmes de management environnemental (SME) collectifs peuvent favoriser une gestion constructive et efficace des tensions de la durabilité en petites entreprises. Majoritaires dans nos économies, ces dernières ont en effet plus de difficultés que les grandes à faire face à la complexité des problèmes de durabilité (Lepoutre & Heene, 2006 ; Courrent, 2012). Les SME collectifs (Ammenberg et al., 1999 ; Zobel, 2007), et plus largement les stratégies collectives (Astley et Fombrun, 1983), sont alors souvent présentés comme un moyen pertinent pour les petites entreprises de s’attaquer aux questions de durabilité tout en dépassant certains problèmes classiques qui peuvent freiner leur action responsable tel que le manque de ressources et de compétences (Berger-Douce, 2005 ; Da Fonseca & Yami, 2012 ; Da Fonseca, 2013 ; Ondoua Biwolé, 2017 ; Halila, 2007 ; Halila & Tell, 2013). Toutefois, aucune recherche ne s’est a priori intéressée aux effets des SME collectifs sur la gestion des tensions de la durabilité. Dans le contexte d’un secteur placé au cœur d’un débat sociétal riche en tensions (l’agriculture), cette communication étudie le cas de 30 petites entreprises hétérogènes réparties dans 8 SME collectifs régionaux. Qualitative et exploratoire, la recherche met en évidence que ces entreprises sont confrontées à trois types de tensions paradoxales en matière de durabilité relevant de paradoxes de performance et d’apprentissage. La recherche montre ensuite en quoi les SME collectifs peuvent créer des conditions favorables à l’expérience, l’acceptation et la résolution de ces tensions. Mais en exacerbant au fil du temps les tensions, les efforts de résolution renforcent aussi les risques d’attitudes défensives contreproductives et donc la menace d’une gestion moins constructive et moins efficace des paradoxes de la durabilité.
Cet article analyse l’émergence des supermarchés coopératifs et participatifs en France à travers l’étude du cas de la Louve à Paris. Le cas est analysé à travers une analyse sociomatérielle de la performativité pour explorer les réseaux d’acteurs humains et non-humains qui se déploient autour de ce supermarché et les effets performatifs qu’ils produisent sur les relations marchandes. L’article vise ainsi à montrer que la prétention des supermarchés coopératifs et participatifs à dire que la majorité du travail est fait par les membres bénévoles est possible parce qu’un ensemble de processus et d’outils matériels et des réseaux d’acteurs spécifiques sont mis en place pour rendre les individus et les outils opérants et « efficaces » en situation. Les conditions de compétitivité du supermarché, à la fois d’un point de vue normatif (proposer des produits « bons » par opposition au modèle dominant de la grande distribution) et d’un point de vue économique (proposer des produits moins chers qu’à la concurrence capitaliste) sont donc créées performativement par un ensemble de dispositifs précis que nous explorons dans le présent article. Au final, cet article permet de mieux comprendre les mécanismes organisationnels qui accompagnent l’émergence de nouveaux modèles de distribution alimentaire.