L’économie collaborative permise par la révolution numérique a fait émerger de nouvelles formes de travail basées sur une horizontalité des rapports de production et une médiatisation par les plateformes Internet. Dans certains cas, les utilisateurs travaillent de façon bénévole au sein d’un ou plusieurs projets collaboratifs : ces projets sont généralement qualifiés de logiciels libres ou open source. Nous émettons l’hypothèse suivante : les personnes contribuant aux projets libres y trouvent une source de reconnaissance spécifique précisément du fait des caractéristiques propres de ceux-ci (absence de planification formelle et gratuité). A partir de cela, notre question de recherche vise à définir le rôle spécifique de la reconnaissance au sein de l’économie collaborative. Pour cela, nous basons notre recherche sur deux interprétations complémentaires de la critique de la reconnaissance au travail : la première est celle de la reconnaissance par autrui définie par Axel Honneth, la seconde celle de la reconnaissance par soi définie par Philippe Bernoux. Nous avons réalisé trois études de cas exploratoires en interviewant des contributeurs français investis au sein de trois logiciels libres : le Wiktionnaire, un dictionnaire plurilingue, OpenStreetMap, un logiciel de cartographie, et Debian, un système d’exploitation. Nos résultats montrent que le processus de reconnaissance est à la fois individuel et collectif. Nous proposons un modèle de la reconnaissance du travail au sein des projets libres : du fait d’un environnement d’autonomie et de gratuité, le travailleur est dans la mesure de s’approprier son travail et se reconnait à travers sa contribution au bien commun ; dans le même temps, il/elle juge de la qualité et du sens de son travail en se référant implicitement ou explicitement aux pratiques de sa communauté.
This article, based on a case study, develops a psychoanalytical understanding of workers’ contradictory psychodynamics in post-bureaucratic organizations. While the managerial language in our case insists on “freedom and happiness” at work, “liberation of energies”, critical perspectives on such organizational trends insist on individuals’ seduction, subjectification and sub-jugation, or work intensification. Previous research (Dey & Lehner, 2017; Maravelias, 2003; Vallas, 2006) critiques such dichotomy. By drawing on Lacan our case study offers a broader account of the ambivalent interplay between managerial language, new post bureaucratic organization and psychodynamics. Particularly, workers experience both the contradictory psychodynamics of enthusiastic engagement and disarray. We suggest a possible interpretation with the notion of “fantasy” as developed by Žižek (1989, 1997, 1998) after Lacan. Fantasy allows accounting for how individuals invest enthusiastically in such a managerial language of “freedom, liberation of energies and happiness at work”, and it also unveils how such psychodynamics lead to disarray. We also link these effects to the weakening of the symbolic order (Vidaillet & Gamot, 2015).
Il existe peu de travaux de recherche en sciences de gestion et des organisations qui articulent, conceptuellement et, au regard d’une pensée anthropologique, une réflexion sur la rationalité, le langage et les affects tels qu’éprouvés dans un corps. Cette contribution théorique a pour objet de montrer l’utilité de la notion d’annulation du ressenti, telle que pensée dans l’anthropologie psychanalytique de Denis Vasse, pour éclairer, de façon critique, le recours par des managers à une rationalité instrumentale se déployant dans un langage abstrait. Pour comprendre la notion de ressenti telle que Vasse la conceptualise, cette recherche part de la division de la subjectivité ego/sujet telle que Lacan (1966) l’a établie. Avec Vasse (1995, 1999) il sera possible d’articuler à cette division de la subjectivité une différenciation des affects. Vasse situe le senti (satisfaction/insatisfaction) dans le rapport de l’ego à ses objets. De son côté, le sujet, pour Vasse, après Lacan, est sujet d’un désir inconscient, le désir de l’Autre. Vasse indique que la marque d’un tel désir se trouve dans l’unité des différences qui advient entre l’un et l’autre. De là nous pourrons saisir la notion de ressenti comme affect et parole qui adviennent dans la rencontre de l’autre marquée par le désir de l’Autre. Ainsi, il est possible de penser la joie, la compassion, la sympathie comme marques possibles, parmi bien d’autres, du ressenti lorsque l’un et l’autre sont unis dans leurs différences. Cette contribution théorique se déploie en montrant trois effets de l’annulation du ressenti mis au jour par Vasse :
• Le danger de parler et le recours à un langage abstrait et opératoire
• Une vie sans corps sans rencontre
• Un sujet coupé de l’Autre et violent
La contribution se poursuit ensuite en montrant l’apport de la notion d’annulation du ressenti à une pensée critique du management à travers trois thèmes :
• Annulation du ressenti et culture d’entreprise
• Annulation du ressenti et entreprise virtuelle.
• Annulation du ressenti et culte du rationalisme
Cette recherche repose sur l’étude qualitative de deux associations d’aide à domicile auprès de personnes âgées (entretiens et étude documentaire) dans leurs relations externes avec leurs financeurs et dans leurs relations internes entre direction et salariés. Elle discute les apports de Castoriadis et de la littérature managériale s’appuyant sur cet auteur. Nous visons ici à voir comment l’imaginaire peut prendre plusieurs formes qui impliquent des dynamiques affectives qui promeuvent ou bloquent l’institution d’un faire collectif porteur de sens mais respectueux des singularités individuelles. Cette démarche suppose de réfléchir au type d’imaginaire manié dans les organisations. Comme la littérature le souligne, un imaginaire du « tout quantifiable » figé et imposé de l’extérieur peut provoquer du désengagement au travail. Notre contribution est de proposer qu’il provoque aussi de l’agressivité. Une alternative proposée par la littérature est de manier une dynamique auto-instituante où la représentation imaginaire est élaborée à partir de l’expérience de travail des salariés (le teukhein dans les termes de Castoriadis). Cela s’articule également au legein (catégorisation) qui permet de donner un sens collectif à l’action. Notre contribution est que cela permet aussi de poser des règles, une loi qui premièrement repose sur le désir des dirigeants et apparaît moins impersonnelle, et deuxièmement met des limites aux excès affectifs – sur-investissement des aides à domicile ou abus des personnes âgées aidées. Ces règles sont organisées autour d’objets partagés, autour de pratiques professionnelles – à partir de la toilette qui sera réalisée conjointement par une aide à domicile et une infirmière par exemple –. Cette manière de travailler permet de laisser un espace aux significations imaginaires individuelles de ce qu’est le travail et de l’identité au travail de chacun, plutôt que de chercher à donner une réponse hétéronome et figée à ces questions. C’est cet espace qui permet une dynamique auto-instituante où les singularités trouvent leur place dans le pluriel que constituent les collectifs de travail.
Understanding morality in organizations has important societal implications. While researchers have pointed out the particularity of morality within organizations, they still struggle to understand how this morality is constructed. We contribute to address this challenge through the case of coworker relationships morality. Through in-depth qualitative studies of two organizations we highlight the role of rationalization of beliefs to resolve the moral tension that arise between responsibility for the work (work ethic) and responsibility for coworkers (care ethic). This article contributes to research on organizational morality by unpacking how the phenomenon of ethical unawareness unfolds. Moreover, these empirical investigations shed a new light on the difficulty to enact an ethic of care in organizations.
Nous explicitons tout d’abord la vision lacanienne du lien social et organisationnel. Dans une deuxième partie, nous relions les tensions du discours managérial à cette définition du lien social et à la manière dont il s’inscrit dans les organisations. Enfin, fidèles en cela à une injonction de Lacan, nous cherchons à le « dépasser » en convoquant l’analyse que Butler fait du discours performatif.
Qualifier de flou un concept est communément considéré comme le signalement d’une carence de définition. Implicitement il est admis que sa clarification est une condition de la pertinence de sa sollicitation tant pour les managers que pour les chercheurs. Comment expliquer qu’en situation, les personnes recourt à une notion aussi imprécise et relative que « le comportement inapproprié » pour poser une règle qu’il s’agit d’appliquer strictement et consistant en son interdiction ? Le flou du concept est-il nécessaire ou bien compromet-il la régulation sociale qu’il est censé soutenir ?
Cet article vise un triple objectif. Le premier porte sur la notion de comportement inapproprié qu’il s’agit de mieux cerner d’un point de vue théorique mais aussi pratique afin d’en saisir le sens. Face à la diversité des définitions et des usages, il entreprend, en appui sur la philosophie du langage de Wittgenstein puis sur les travaux d’Austin, d’approfondir ce que désignent les concepts flous et d’en identifier les fonctions. Enfin, se positionnant dans le cadre théorique de la régulation sociale de Reynaud, tout en plaçant l’analyse au niveau interactionnel des sujets, il met en évidence comment un concept flou peut aboutir à la formulation de ce que Koenig définit comme une règle élémentaire et qui a vocation à être appliquée strictement par chacun. Il en explore les modalités d’application.
Dans cette perspective, une méthodologie de type exploratoire a été mise en œuvre. L’article s’appuie ainsi sur une étude longitudinale de trois cas contrastés, sélectionnés pour leur recours à la règle de l’interdiction du comportement inapproprié et la nature différente du lien organisationnel des sujets : une maraude bénévole pour SDF, un groupe-projet d’étudiants dans le cadre d’un master en management, un cabinet de consultants. Les données ont été rassemblés par observation participante et entretiens non directifs. L’analyse de contenu a été réalisé en deux temps : tout d’abord manuellement puis avec le logiciel NVivo11.
Les résultats portent essentiellement sur la mise en évidence et l’analyse des deux fonctions principales du concept flou de comportement inapproprié au travail pour la régulation sociale : une fonction performative et une fonction subjectivante. Une démarche heuristique de régulation en ressort, à la fois collectivement auto-disciplinante et auto-habilitante et permettant au sujet d’advenir comme interacteur mais aussi comme être de pulsions, tout autant qu’une réalité qu’il ne peut jamais totalement contrôler et prédire.
The issue of health among global workers has not been explored yet and this work aims to investigate it more deeply through a psychoanalytic perspective. In particular this paper introduces the relationship between language and libido. The French psychiatrist Jacques Lacan suggested that meaning is inversely correlated with libido or that sexual drive is absorbed by language. When the linguistic medium fails or when it has the tendency to become slippery as in the case of James Joyce libido becomes excessive and threatens the subject. Nevertheless Lacan hypothesize through the analysis of Joyce’s biography and works that the excess can be curbed by a primary narcissism intertwined with a symbolic component. Grounding on his theory and on the findings of the research on expatriation I hypothesize that global workers share a mechanism similar to the one of James Joyce. Through 23 semi-structured interviews I show how expatriates often invest their libidinal excess into imaginary objects with a symbolic component (and hence recognizable by the other) such as career. This particular typology of primary narcissism called Sinthome by Jacques Lacan becomes stronger when affectivity is destroyed or in other words when libido is not linguistically absorbed by the other. Primary narcissism can be a source of resilience when libido can not flow linguistically and it is symbolically sustained by the organizational dimension.