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Gregoire Maud

Cet article examine les liens entre autonomie et travail en se plaçant sous le prisme encore peu exploré du travail non subordonné. Le travail non subordonné renvoie à un ensemble de travailleurs qui souhaitent vivre de leur savoir-faire et de leurs compétences sans passer par le cadre salarial traditionnel. Il est parfois appelé « travail freelance » et, de plus en plus, « travail autonome ». Ce rapprochement fréquent entre le travail non subordonné et l'autonomie est le point de départ de cette contribution. Si les significations et les limites de l'autonomie ont largement été étudiées dans le salariat traditionnel, elles l'ont été beaucoup moins dans le travail non subordonné. Cette recherche s'articule donc autour de trois questions : Quelles significations recouvre l'autonomie dans le travail non subordonné ? Quelles sont ses limites ? Est-ce que cette autonomie est plus importante que dans le travail subordonné ? Pour ce faire, cet article s'appuie sur des entretiens avec des salariés-entrepreneurs d'une coopérative d'activité et d'emploi (CAE). Une CAE est une entreprise coopérative dont les salariés développent leur propre activité individuelle. Ils facturent via la coopérative qui transforme leur chiffre d'affaires en salaire, ce qui leur évite de passer par le statut indépendant. L'enquête s'est articulée entre une observation participante de deux ans, 35 entretiens semi-directifs et de nombreux échanges informels. Dans la première partie, la revue de littérature distingue et détaille deux formes d'autonomie. L'autonomie la plus couramment étudiée est l'autonomie dans le travail, qui désigne la marge de manœuvre dont disposent les travailleurs entre le travail prescrit par l'organisation et le travail « réel », effectivement réalisé. La seconde forme d'autonomie est l'autonomie du travail. Elle implique la participation active des salariés à la gestion de l'entreprise, voire la propriété collective des moyens de production. La seconde partie présente les données de l'enquête, et plus spécifiquement les discours des entrepreneurs-salariés sur leurs situations de travail. Elle reprend la distinction entre autonomie dans le travail et autonomie du travail pour examiner les significations que peut avoir l'autonomie dans les situations de travail non subordonné, ainsi que ses limites. A partir de ces limites, la troisième partie questionne la pertinence du lien entre non subordination et autonomie. Dans une perspective critique, ce lien est illusoire et les discours sur l'autonomie permettent surtout de susciter l'adhésion des travailleurs à leur auto-exploitation. Cette posture est quelque peu réductrice. Les travailleurs non subordonnés ont bien conscience des limites qui encadrent leur activité professionnelle. Mais ils trouvent dans leurs situations de travail des zones d'autonomie qu'ils considèrent comme fondamentales (le pouvoir de dire « non », la recherche de sens dans le travail, la disponibilité pour ses proches...) et qui leur permettent de faire l'expérience de micro-émancipations. L'article s'achève en proposant de penser l'autonomie au-delà de la distinction entre subordination et non subordination : l'autonomie désigne un rapport de force entre le travailleur et ses donneurs d'ordre, qu'ils soient clients ou employeurs. Les travailleurs qui bénéficient d'une certaine autonomie sont ceux qui s'inscrivent dans un rapport de force en leur faveur, et qui dépend de deux facteurs : leur secteur d'activité et leurs compétences individuelles en termes de savoir-faire et de démarche commerciale. Ce rapport de force leur permet de négocier au mieux leurs conditions de travail, qu'il soit subordonné ou non subordonné.