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Babeau Olivier, Renon François

La sociologie des organisations et les sciences de gestion ont abondamment montré l’omniprésence des pratiques transgressives en entreprise. Cet article cherche à étudier les formes précises prises par ces pratiques dans le cas particulier de l’entrepreneur, en mettant en relation ces pratiques avec le profil psychologique des acteurs souligné par la littérature. De nombreuses recherches ont associé des traits particuliers à la psychologie de l’entrepreneur, qui entretient des relations complexes et parfois difficiles avec ses parties prenantes au cours de son parcours entrepreneurial. Beaucoup des traits soulignés comme étant caractéristiques des entrepreneurs suggèrent une propension à entrer en relation avec l’environnement sur le mode de la transgression. Dans son combat quotidien pour développer son activité (faire accepter ses idées, surmonter les difficultés financières, générer de l’adhésion, explorer sans cesse de nouvelles pistes stratégiques, etc.), l’entrepreneur est confronté à de nombreux contraintes dont beaucoup prennent la forme de normes (officielles ou officieuses). La littérature suggère que l’un des moyens utilisés par l’entrepreneur pour faire face à ces contraintes est, dans certains cas, de les contourner, c’est-à-dire de transgresser sciemment certaines normes (fiscales ou sociales par exemple). A la suite de cette revue de littérature, le présent article cherche à conforter deux hypothèses : la première, celle selon laquelle les entrepreneurs sont en effet auteurs de pratiques transgressives spécifiques dans le cadre de leur activité ; la seconde que ces pratiques peuvent être liées à certains traits particuliers de leur profil psychologique. L’étude empirique réalisée auprès d’un échantillon d’une vingtaine d’entrepreneurs de la région bordelaise par entretiens semi-directifs centrés permet de mettre en évidence l’existence d’un rapport singulier des entrepreneurs à la transgression. Il apparaît tout d’abord que, tout au long de leur parcours, la transgression des règles auxquelles ils ont été confrontés est l’un des traits communs aux entrepreneurs. Nous mettons en particulier en lumière ici l’irrespect volontaire ou le détournement d’obligations administratives et fiscales. Le second élément mis en évidence est que ces transgressions semblent étroitement liées à un état d’esprit particulier des entrepreneurs : les pratiques de contournement des règles, sciemment réalisées, sont légitimées parce qu’ils se sentent investis d’un rôle particulier en tant qu’entrepreneur. Nous proposons de qualifier cette disposition de syndrome du Prince, par référence au livre éponyme de Machiavel dans lequel ce dernier donne au Prince le privilège de pouvoir légitimement déroger aux règles communes, du fait du destin particulier qui est le sien. Nous discutons enfin des limites, implications et prolongements de la présente recherche.