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Laurent Meriade

L'innovation n'est pas seulement guidée par l'environnement économique, technologique ou géographique mais aussi par la culture qui est déterminante dans l’interprétation des systèmes d'innovation (Ouchi, 1982, Hofstede et Bond, 1988, d'Iribarne, 1989). Notre préoccupation est de mettre en évidence l’influence de la culture sur les stratégies d'innovation en Chine et de mieux cerner les formes prises par la culture d'innovation locale. Nous nous intéressons à la stratégie d'innovation des entreprises dite shanzhai (littéralement « le fortin dans la montagne ») à partir de la grille de lecture proposée par la littérature culturelle chinoise (Granet, 1968 ; Barbier, 2001 ; Billeter, 2006) et plus particulièrement celle de Jullien (1996, 2005, 2009). Notre recherche abductive a pour objectif la construction d'hypothèses relatives à la culture d'innovation chinoise souvent rattachée à la culture d'imitation (Hussler et al., 2010). Nous l'étudions à partir de deux études de cas d'entreprises shanzhai (Huawei et MediaTek) en croisant trois types de données (observations directes, interviews, notes de recherches et documents d'entreprise). L'hétérogénéité des sources empiriques devant nous permettre de nous rapprocher de l'objectivité (Yin, 2012, p. 10). Les deux entreprises étudiées présentent la particularité d'être devenues des entreprises mondiales majeures dans leurs domaines respectifs (réseaux de télécommunications et circuits électroniques pour téléphone) à partir de stratégies shanzhai fondées principalement, au départ, sur l'imitation de grandes marques pour lesquelles elles étaient sous traitantes. Nos résultats portent à la fois sur une description plus précise des principaux déterminants des stratégies d'innovation des entreprises shanzhai et sur l'identification de plusieurs hypothèses complémentaires relatives à la culture d'innovation en Chine. Pour celà, nous proposons un modèle superposant la culture d'innovation en Chine et en Occident. Il s'agit d'un essai de comparaison non exhaustif destiné à compléter les approches universalistes du management chinois (Billeter, 2006; Goxe et Gao, 2010) centrées sur le management visible en Chine mais négligeant sa part subjective tout aussi déterminante. Cet essai intègre à la fois les approches philosophiques de la culture chinoise et celles plus récentes portant sur le management de l'innovation (Alter, 2000; Westwood, et Low, 2003; Hussler, 2004, 2010). Pour celà, nous présentons ces hypothèses dans le schéma général de management de l’innovation (Weil, 2003) afin d’en mettre en évidence les conséquences pratiques. Ce modèle d'innovation s'intègre dans le paradigme stratégique BOP (Bottom of the Pyramid) décrit par Prahalad et Hart (2002) en faisant reposer son succès économique sur la rationalisation des coûts et la réactivité aux attentes des consommateurs pauvres des pays émergents. Comme en Occident, l'innovation en Chine peut être pensée en termes de processus et de management mais à partir de ceux définis par le potentiel de situation de l’environnement de l'entreprise plutôt que ceux que cette dernière aurait pu modéliser. Ces résultats présentent pour chaque grand domaine du management de l’innovation les principes et valeurs mis en œuvre par les entreprises shanzhai en accord avec la culture de l'action en Chine. Ceci permet de présenter les principales approches stratégiques et managériales de l’innovation de ces entreprises et de proposer des perspectives de validation sur un échantillon plus large.