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Parisot Xavier, Isckia Thierry

Pour expliciter des concepts et des théories, le recours à la métaphore est fréquent en Sciences de Organisations (Cornelissen, 2005). Mais, il ne va pas sans poser de problèmes (Gerring, 1999). Pour dépasser les difficultés que génère l’usage de la métaphore en Théorie des Organisations, un nouveau champ d’étude à émerger dans les années 80 (Morgan, 1980) et s’est développé jusqu’à ce jour (Cornelissen & Clarke, 2010). Ce dernier analyse notamment le rôle de la métaphore dans la théorisation des organisations (Tsoukas, 1991 ; Indurkhya, 1991 ; Cornelissen, 2005 ; Cornelissen & Kafouros, 2008). La construction du concept d’écosystème d’affaires (ESA), parce qu’elle exploite une métaphore biologique (Moore, 1993, 1996), est concernée par ce champs d’étude. Or, le transfert depuis l’écologie des objets nécessaires à la construction du concept d’ESA n’exploite pas les résultats des travaux sur l’utilisation de la métaphore en Théorie des Organisations qui lui sont partiellement contemporain (Morgan, 1980, Gentner, 1981 ; Tsoukas, 1991 ; Indurkhya ; 1991). Pour apprécier l’intérêt du concept d’ESA, préciser ses traits définitoires et les limites de son application, il convient, comme le suggère Ricœur (1975), de revenir à l’origine même du concept d’ESA ainsi qu’à la logique de son élaboration. Seule l’identification des sources et du processus métaphorique déployés par James Moore peut permettre une analyse des limites épistémologiques du concept d’ESA qui tienne compte de la nature des transpositions effectivement réalisées. Pour cela, le sens littéral des objets sources est comparé avec le sens métaphorique que Moore leur a attribué dans son concept (Indurkhya, 1991). La nature des transpositions est alors étudiée au regard des deux modèles dominants de la métaphore développés pour étudier la Théorisation des Organisations : le modèle transformationnel de Tsoukas (1991) qui repose sur la méthodologie de modélisation scientifique de Beer (1984) et le modèle d’interaction des domaines de Cornelissen (2005) qui repose notamment sur les résultats de la psychologie cognitive (Black, 1979 ; Gentner, 1983). L’analyse du processus de transposition métaphorique appliqué par Moore révèle que 1) les objets sources sont prélevés dans trois paradigmes différents en Ecologie, 2) la totalité des objets définissant la notion d’écosystème dans les différents paradigmes en Ecologie n’est pas exploitée, 3) par conséquent, la structure logique reliant ces objets entre eux n’est pas transposée, et 4) le sens métaphorique des objets dans le domaine cible est clairement distinct de leur sens littéral dans les domaines sources. Ces résultats démontrent que Moore n’est pas dans une recherche d’identité paradigmatique par comparaison telle que le propose Tsoukas (1991). Ils interdisent également l’établissement d’une analogie au sens de Tsoukas (1991). Il apparaît que Moore se place plutôt dans une approche interactionnelle car il fait émerger son concept par interaction entre plusieurs paradigmes ce qui est en phase avec le modèle de construction métaphorique proposé par Cornelissen (2005). En conséquence, toute analyse des limites de la métaphore biologique d’ESA se doit alors de tenir compte de 1) la nature des objets effectivement transposés par Moore et qui constituent autant de paramètres définitoires, 2) du sens métaphorique de ces paramètres tel que définis par Moore et non du sens littéral des objets dans les domaines sources. Or, les travaux analysant ces limites (Maître & Aladjidi, 1999 ; Harte, 2001 ; Torrès-Blay & Guéguen, 2003 ; Daidj, 2011 ; Fréry, 2010 ; Isckia, 2010) explore des objets qui ne correspondent pas, dans la grande majorité des cas, aux référents catégoriels que Moore a exploité. En l’absence d’une analogie ou d’une identité au sens de Tsoukas (1991), seuls les référents catégoriels choisis par Moore peuvent être considérés, et ce, en tenant compte du sens métaphorique qu’il leur a attribué. Cette analyse démontre l’impact de la nature du processus de théorisation sur la construction du sens des paramètres définitoires déterminant les bornes du concept. Elle renseigne également sur la posture à adopter pour en définir les limites.