AIMS

Steyer Véronique
Le sensemaking en situation d’alerte, entre construction sociale du risque et relations d’accountability

Dans une société où le risque est devenu un principe organisateur, l’idée s’est imposée qu’une organisation bien gouvernée doit se préparer à assurer la continuité de ses activités les plus essentielles - à être résiliente - même confrontée à des événements extrêmes. Pourtant, les travaux existants sur les processus de construction du sens (sensemaking) en situation de risque ou de crise soulignent les effets souvent néfastes d’une préparation organisationnelle à un risque spécifique: dans une situation d’alerte, c’est-à-dire lorsque des signaux annonçant la réalisation imminente d’un risque ayant été anticipé sont détectés, les cadres, les dispositifs matériels et les relations sociales qui se sont développés et structurés pendant cette préparation préalable pourraient enfermer action et cognition dans une ligne prédéterminée qui favoriserait une « perte de contact » avec le déroulement des événements. Pourrait en résulter une action mal adaptée, aux effets potentiellement dramatiques (favorisant l’aggravation d’une catastrophe plutôt que de l’éviter) ou au contraire déclenchant une mobilisation surdimensionnée, dont les « décideurs » devront répondre a posteriori.
Compte tenu de ces enjeux managériaux, nous avons étudié la réaction d’un groupe de Business Continuity Managers (BCM) pour mieux comprendre l’impact de la préparation à un risque sur la réaction organisationnelle en situation d’alerte. Nous avons observé comment ces responsables de la continuité d’activité de leurs entreprises ont fait face à l’émergence de la pandémie grippale en avril 2009, en nous appuyant sur une observation de leurs réunions pendant une période de 21 mois.
Considérant le risque comme un phénomène socialement construit, notre étude montre que les effets de la préparation de pandémie au sein de ces organisations – de la construction sociale de ce risque dans ces organisations - ne suffisent pas à comprendre les processus de sensemaking des acteurs pendant l’alerte. Elle met en lumière comme élément complémentaire l’impact structurant des caractéristiques des multiples relations sociales dans lesquelles ces BCM sont encastrés, notamment dans leur dimension d’accountability (rendus des comptes). Plus que de s’intéresser à l’évolution « matérielle » de la menace virale, les acteurs observés se sont focalisés sur la recherche d’une ligne d’action socialement justifiable. Cette recherche de l’action légitime a favorisé une certaine inertie du cadre cognitif qui la justifiait officiellement, cela malgré des indices croissants sur le caractère bénin du virus. Les dynamiques d’interactions entre les éléments issues de la construction sociale du risque d’une part et les relations sociales plus larges dans lesquels sont pris les acteurs d’autre part, apparaissent ainsi être un aspect important pour comprendre le développement des situations de « fausse » alerte, lorsque la menace semble avoir été surestimée et l’action surdimensionnée ou maintenue trop longtemps par rapport aux développements « matériels » subséquents. Notre étude contribue ainsi d’une part à améliorer notre compréhension des situations d’alerte et d’autre part au développement de la théorie du sensemaking en explorant plus avant l’aspect social de ces processus, et notamment l’impact des relations d’accountability, dans la poursuite des travaux de Cornelissen (2012).