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Raulet-croset Nathalie

Auteur

Nathalie RAULET-CROSET

 

Résumé

Cet article analyse l'émergence d'un cadrage, une forme cognitive collective qui est un premier fondement à la naissance d'une coopération entre des acteurs aux logiques opposés, en conflit autour d'un problème, et que rien n'oblige a priori à coopérer. Cette recherche est fondée sur le cas de l'émergence d'une coopération autour de la protection d'une nappe d'eau minérale ; sont au départ en conflit l'entreprise exploitante de la nappe et des agriculteurs supposés à l'origine de l'augmentation du taux de nitrate dans l'eau ; d'autres acteurs dont des chercheurs de l'INRA se trouvent ensuite concernés par le problème.

I - PERSPECTIVES SUR L'ANALYSE DES FORMES COGNITIVES COLLECTIVES

Nous positionnons tout d'abord notre approche du cadrage au regard de différentes recherches portant sur les formes cognitives collectives. Nous caractérisons notamment le cadrage sur deux points : il n'est pas un partage de représentations ou un accord sur une définition de la situation ; et des éléments autres que cognitifs sont également des fondements à son émergence.

II - LE CADRAGE ISSU D'UNE STRUCTURATION DE LA SITUATION

Ces caractéristiques nous amènent à utiliser le concept de situation : nous montrons que, si le cadrage peut émerger, c'est parce qu' il se réfère à une situation dans laquelle vont jouer des processus de structuration. Une situation se caractérise par une dimension spatiale (proximité géographique, définition des acteurs inclus, et délimitation des actions et objets qui concernent la situation), mais également par une dimension temporelle : une situation permet l'enclenchement d'un processus de long terme. C'est à travers cette évolution de la situation que se produisent des phénomènes de structuration (Giddens, 1987).

Une première forme de structuration a lieu autour de définitions de la situation qui sont énoncées par les acteurs. Ces définitions naissent au cours d'interactions et de négociations, mais elles peuvent ensuite atteindre les autres acteurs de manière non simultanée. Ce décalage permet à la situation d'être à la fois une donnée, et donc un appui à l'émergence de formes de stabilité, et à la fois un construit, qui permet l'évolution de la forme cognitive.

Le premier "état" du cadrage est cet ensemble de définitions de la situation énoncées et compatibles. Il nait donc de l'expression, qui n'ont pas à être partagées, de représentations de la situation, de la projection de logiques au regard de cette situation.

D'autres formes de structuration se produisent ensuite. En effet, à chaque définition sont associées des actions, des problématiques connexes, des objets,... Nous appelons ces différents éléments des "saillances" de la définition car ce sont des points d'accroche qui peuvent susciter l'intérêt de certains acteurs : il s'agit par exemple, autour de la définition technique du problème, de l'apparition de machines de compostage, de l'idée d'agriculture biologique, de cultures test d'agriculture biologiques,... qui vont attirer des agriculteurs intéressés soit par le nouveau machinisme agricole, soit par les cultures "bio". Ces saillances peuvent apparaître comme des points stables dans le processus, des fondements à la structuration. Par les intérêts qu'elles peuvent susciter, elles deviennent des points de connexion entre acteurs, qui densifient la forme cognitive collective. En outre, certaines d'entre elles ont la particularité d'être des objets, et donc d'inclure de par leur nature une forme de stabilité.

Le cadrage naît donc à la fois d'éléments cognitifs, des représentations individuelles de la situation, projetées en définitions de la situation, et d'intérêts manifestés par les acteurs qui les conduisent à se rattacher au cadrage.

Après avoir décrit et analysé cette émergence du cadrage, nous nous interrogeons en conclusion sur ses évolutions, notamment au regard de sa fragilité initiale (au départ une simple compatibilité de représentations). La densification du cadrage autour des saillances peut en effet induire une construction de sens, et la présence de saillances-objets peut créer des effets de solidification et d'irréversibilité. Cela pourrait amener le cadrage à devenir une forme cognitive plus prescriptive, et à se rapprocher par exemple d'un paradigme qui s'imposerait alors aux acteurs dans la situation.