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Metais Emmanuel

Auteur

Emmanuel MÉTAIS

 

Résumé

Le champ de la recherche en stratégie d’entreprise a connu bien des apports et des transformations au cours des années quatre-vingt-dix. Face à un environnement insaisissable, il a fallu questionner certains des présupposés les plus forts de la pensée. En particulier, la logique d’adéquation, l’exclusivité des avantages concurrentiels et le principe de la segmentation se sont révélés inadaptés aux nouveaux enjeux de l’économie.

L’approche par les ressources : apports et limites

Des approches alternatives ont alors été proposées, parmi lesquelles l’intention stratégique et l’approche fondée sur les ressources. Elles reposent sur l’idée que la stratégie doit consister non plus à s’adapter son environnement, mais plutôt à la création d’une situation de déséquilibre, propre à transformer le jeu concurrentiel lui-même.

Plus précisément, l’intention stratégique suppose qu’une entreprise soit susceptible de transformer les conditions de la concurrence. Une telle conception repose sur deux présupposés. D’une part, la stratégie doit être formulée dans le cadre d’une vision à long terme très ambitieuse. D’autre part, il est nécessaire de privilégier un modèle centré sur les ressources de l’entreprise. La démesure de la vision est en effet supposée générer un développement et une exploitation en rupture des ressources. Ces stratégies déviantes sont potentiellement à l’origine de la transformation des conditions de la concurrence.

Toutefois, ces approches possèdent également leur propres limites. Si l’approche par les ressources définit bien en quoi une ressource peut mener à un avantage concur-rentiel, l’identification de ces ressources reste plus que problématique. En second lieu, on observe que les études de cas mobilisant cette approche débouchent généralement sur un portefeuille de ressources qui s’apparente fortement à une chaîne de valeur très détaillée.

Enfin, bien que les ressources soient au centre de la décision stratégique, la logique de formulation de la stratégie demeure adaptative et la question de la transformation a été délaissée. Comment ces nouvelles approches peuvent-elles trouver leur place dans l’évolution de la pensée en stratégie d’entreprise ?

Intégrer ces différents courants de pensée

L’objectif de cette recherche est d’apporter un éclairage sur cette question, avec deux ambitions : mieux différencier l’approche par les ressources et le modèle classique ; dépasser l’opposition entre ces deux modèles, notamment sur le débat adéquation - intention.

A l’origine, notre travail souhaite répondre à la question suivante : comment une entreprise peut-elle transformer son environnement concurrentiel ? Pour ce faire, nous avons mobilisé un cadre conceptuel croisant deux approches complémentaires. D’une part, l’approche fondée sur les ressources permet d’identifier le portefeuille de ressources de l’entreprise. D’autre part, la notion d’intention stratégique conduit à s’intéresser à la vision de l’entreprise, pour comprendre comment elle contribue au développement et à la mise en oeuvre du portefeuille de ressources, pour éventuellement aboutir à une modification des conditions de la concurrence.

Le cas d’Air Liquide et ses apports

Ce cadre théorique a été appliqué au cas des départements « Ingénierie » et « Grande Masse » d’Air Liquide. Ces départements ont en effet mené une réflexion approfondie sur leur compétences centrales, et adopté consécutivement une nouvelle structure.

Cette recherche permet tout d’abord de bien clarifier les notions constitutives de l’approche fondée sur les ressources. Les ressources représentent des savoirs et actifs élémentaires. Les compétences centrales correspondent à des aptitudes au niveau de l’organisation, issues de l’association de ressources complémentaires. Une compétence est jugée stratégique si elle est critique par rapport à l’activité de l’entreprise, si elle est rare, et si elle est transversale, par rapport à l’offre et à la chaîne de valeur.

En second lieu, l’étude d’Air Liquide révèle non pas une opposition, mais une complémentarité entre une approche par les ressources et une approche par la chaîne de valeur. Les deux trouvent donc leur place dans une telle grille de lecture, permettant une meilleure compréhension de la stratégie de l’entreprise.

En dernier lieu, la partie empirique de la recherche permet de dépasser deux débats. Ressources et chaîne de valeur sont complémentaires. On constate en effet qu’une organisation centrée sur les compétences permet de moduler la formation de la chaîne de valeur. Elle permet donc de construire des avantages concurrentiels différents, et auparavant jugés inconciliables. En outre, elle révèle une possibilité d’alterner des comportements d’adéquation et d’intention, en fonction des enjeux liés à l’évolution de l’industrie et du jeu concurrentiel. Cette idée d’une double flexibilité stratégique (en termes d’avantage concurrentiel et de posture stratégique) est conceptualisée par la notion de polyvalence stratégique.