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Lozeau Daniel

Auteur

Daniel LOZEAU

 

Résumé

Depuis nombre d’années, plusieurs tenants de la «gestion de la qualité» (GQ) soutiennent que l’application des principes de cette approche est souhaitable, voire essentielle, dans toutes les organisations. Or, qu’arrive-t-il lorsque la GQ, qui est axée sur la satisfaction du client, est appliquée dans un milieu organisationnel dont la survie dépend davantage des comportements de son environnement institutionnel que de ceux de ses clients? Afin de répondre à cette question, nous avons étudié la pratique de la GQ dans des organisations qui possèdent cette caractéristique : les hôpitaux publics au Québec.

Concernant notre méthodologie, le recueil de nos données fut basé principalement sur la technique d’entrevues semi-structurées et secondairement sur la consultation de documents. L’analyse des données fut étayée à partir du récit des acteurs qui ont été impliqués dans le dossier de la GQ (dirigeants, autres gestionnaires, cliniciens et autres employés). Enfin, nous avons à la fois tenu compte des faits (par recoupements des récits et des écrits) ainsi que des interprétations des événements tels que perçus et présentés par les acteurs.

À la suite d'une étude préliminaire où nous avons identifié et décrit certains problèmes découlant de la pratique de la GQ dans plus d’une dizaine d’hôpitaux, nous avons réalisé deux études de cas afin de mieux comprendre les interactions complexes qui ont engendré ces problèmes et entraîné leur «programme de GQ» (PGQ) vers l'arrêt prématuré de leurs activités. Ce texte traite de ces deux études de cas.

Nos données montrent que la GQ fut introduite dans ces deux hôpitaux à la suite de pressions externes exercées par le Conseil canadien d’agrément des établissements de santé (CCAÉS). Ces pressions précipitèrent la mise sur pied d’un «programme de GQ» (PGQ) en ce que la décision d’introduire cette approche ne fit pas l’objet d’une réflexion profonde à l’interne, alors que dès après son introduction, l’attention des acteurs se porta presque exclusivement sur les aspects technocratiques du PGQ exigés par le CCAÉS (ex. : rédaction de documents de normes), sans que soit prise en compte la dynamique socio-politique de ces hôpitaux.

L’impact de la mise sur pied hâtive de ces PGQ fut qu’ils se révélèrent complexes à administrer dans le quotidien. De plus, ils soulevèrent la résistance de plusieurs gestionnaires et cliniciens qui voyaient en la GQ une menace à leur autonomie professionnelle. Par ailleurs, les coupures budgétaires sévères imposées par le ministère de la santé du Québec déstabilisèrent le fonctionnement des hôpitaux et reléguèrent le dossier de la GQ loin des préoccupations du personnel et de la direction. Qui plus est, les contrôles externes qui devaient inciter les acteurs à effectuer des activités de GQ furent déficients. Dans de telles conditions, le personnel ne s’impliqua que de manière superficielle dans le PGQ. Seuls quelques services réalisèrent des activités de GQ qui leur furent techniquement utiles et qui améliorèrent significativement la qualité des services prodigués à leurs clients. Malgré le maintien d’un discours officiel des autorités prônant la GQ, les PGQ cessèrent leurs activités dans l’indifférence générale du personnel.

L’analyse des résultats indique que même si les acteurs organisationnels exercèrent leur force d'inertie afin de contrer les pressions des instances externes qui favorisaient la pratique de la GQ dans leur hôpital, cela ne mena pas à un affrontement direct entre ces deux groupes.

Au contraire, de nombreuses ententes tacites favorisant le statu quo émergèrent, tout en étant masquées par des rituels où les promoteurs de la GQ se mirent à feindre l’imposition de cette approche de gestion à des membres du personnel qui feignirent tout autant la conformité à ces directives. L’enjeu à la base de ces comportements était de ne pas confronter à la fois un système de valeurs socialement légitimé prônant les principes de la GQ et un autre système de valeurs, celui-là occulté, soutenant la résistance à tout changement menaçant l’autonomie locale des gestionnaires et des cliniciens. Ces ententes tacites (et les rituels qui les gardèrent dans l’ombre pour qu’ils opèrent plus librement) permirent à court terme d'atténuer artificiellement les conflits entre les acteurs, mais ils empêchèrent aussi les PGQ de produire une meilleure qualité des soins prodigués aux usagers.

Notre conclusion est que les conditions initiales nécessaires à l’application des principes de la GQ ne sont pas remplies dans le secteur hospitalier au Québec. En conséquence, la pratique d’activités de GQ dans ces établissements devrait être limitée, voire proscrite, tant que les hôpitaux seront enlisés dans une logique de compressions des ressources et que les soins prodigués à leurs usagers ne seront pas considérés comme des activités stratégiques contribuant clairement à la survie et au développement de ces organisations.