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Guillotreau Patrice, Le roy Frédéric

Auteur

Patrice GUILLOTREAU

Frédéric LE ROY

 

Résumé

En se situant dans une approche  comportementale de la concurrence, mais en rupture par rapport aux analyses hypothéticodéductives de la Nouvelle Economie Industrielle, cette étude a pour objectif d’interroger un comportement d’acquisition d’un fournisseur. Dans une démarche compréhensive, l’acquisition d’un fournisseur par un concurrent dans le secteur de la conserves de poissons est l’objet d’une étude de cas approfondie. La thèse défendue est la suivante : la prise de contrôle financier d’un fournisseur permet, sous certaines conditions, de nuire directement à des concurrents en le privant d’approvisionnements.

Dans l'approche la plus courante, l’intégration des fournisseurs est censée permettre des économies de coûts. Ces économies reposent sur quatre séries d’avantages : les avantages d’échelle, les avantages de champ, les avantages de l’adéquation et les avantages de l’internalisation. Une entreprise est censée déterminer de façon rationnelle son seuil optimal d’intégration. Pour Perroux cette approche conduit à exclure le pouvoir de la théorie économique. Suivre Perroux conduit à considérer que l’entreprise n’est plus un lieu de maximisation des outputs sous la contrainte de rareté des facteurs de production mais une unité active. Une unité est dite active si, “par son action propre et dans son intérêt propre, elle est capable de modifier son environnement, c’est-à-dire le comportement des unités avec lesquelles elle est en relation”.

Dans cette perspective, des controverses récentes ont porté sur la définition de l’intégration verticale comme moyen de nuire à un concurrent. Ainsi, la théorie du Raising Rivals’ Costs a fait l’objet de nombreux commentaires critiques et d’essais de validation. Cette théorie montre qu’une firme peut chercher à élever les coûts et donc les prix des concurrents en établissant des contrats exclusifs avec les sociétés situées en amont de l’industrie (les fournisseurs). Ces contrats peuvent être de différentes natures, allant du sur-achat d’inputs à l’engagement pur et simple du fournisseur à ne pas vendre aux concurrents, voire à l’intégration verticale en amont. Cette étude a alors pour objectif d’étudier un cas de façon approfondie afin de déterminer la mesure dans laquelle l’intégration d’un fournisseur peut être considérée comme un moyen d’obtenir un pouvoir de domination sur un concurrent.

Le secteur étudié est l’industrie thonière française. L’étude approfondie des comportements des entreprises dans ce secteur montre qu’il convient de distinguer trois périodes. Dans la première, aucune des sociétés ne semble exercer un pouvoir de domination sur le principal fournisseur du secteur (la Cobrecaf). Ce relatif équilibre est rompu en 1993, quand le groupe ONA prend le contrôle de la société Pêche et Froid actionnaire de la Cobrecaf. Cette prise de participation est le point de départ d’une lutte pour le contrôle de la Cobrecaf entre Starkist, Pêche et Froid et le groupe SOPAR-Cofibois. A la suite de cet affrontement, il reste deux acteurs majeurs dans le capital de la Cobrecaf, Starkist et Pêche et Froid, Starkist détenant clairement le pouvoir de décision tout en s’entendant avec Pêche et Froid. Cette prise de contrôle conduit à une période qui se caractérise, tout d’abord, par une très nette amélioration des performances de la Cobrecaf, puis, par le désinvestissement en France de ses principaux actionnaires et, enfin, par une diminution très significative des quantités vendues par la Sovetco (filiale de la Cobrecaf) aux conserveurs implantés en France, ce qui les oblige a trouver des nouveaux fournisseurs à des conditions beaucoup plus défavorables.

En conclusion, il est possible de considérer que la stratégie d’acquisition des fournisseurs peut conduire à bien d’autres résultats que la minimisation des coûts. Précisément, le contrôle des structures d’approvisionnement peut être considéré comme une modalité de la rivalité entre des entreprises présentes dans un même secteur. Cette stratégie est alors d’autant plus efficace qu’elle est relativement indécelable puisque le pouvoir des entreprises qui détiennent les fournisseurs s’exerce davantage sur les quantités d’inputs que sur les prix de ces inputs.