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Durieux Florence

Auteur

Florence DURIEUX

 

Résumé

La littérature traitant de la gestion de l'innovation porte principalement sur l'étude de projets pris individuellement. Comme les ressources dont disposent les organisations sont nécessairement limitées, pour se développer, les projets se trouvent en concurrence pour bénéficier de l'allocation d'une part de ces ressources. En conséquence, du fait des implications de cette compétition, il apparaît pertinent d'étudier les projets d'innovation pris collectivement.

La présente recherche vise ainsi à mettre en évidence la dynamique d'évolution d'une population de projets d'innovation. La littérature sur l'évolution fournit plusieurs modèles descriptifs portant sur l'ensemble d'une population. La représentation graphique la plus fréquemment rencontrée présente la forme d'une courbe en S. Or, à cette forme effectivement constatée, s'ajoute une phase d'évolution non annoncée par la littérature et que peut expliquer la théorie des systèmes dynamiques non linéaires. En d'autres termes, nous faisons l'hypothèse suivante : (H) L'évolution d'une population de projets d'innovation est potentiellement chaotique.

Pour tester cette hypothèse, nous étudions une population de projets d'innovation au fil du temps, représentée par une série temporelle constituée du nombre de projets d'innovation en cours par unité de temps. Afin de détecter la présence (ou non) de chaos, nous mettons en place un dispositif préconisé par Brock (1986) : il s'agit de tester la présence de modèles explicatifs simples de l'évolution observée - modèle linéaire, auto-corrélé. Si aucun modèle "simple" ne peut être identifié complètement, nous procédons au test de la détection de présence du chaos sur la série constituée par les résidus. Nous confrontons notre hypothèse à la réalité d'une entreprise : la Mission Innovation d'EDF GDF SERVICES. Nous étudions les projets d'innovation "vivant" sur plus de 5 ans, soit 736 projets d'innovation sur 274 semaines.

Nous arrivons au résultat suivant : l'évolution de la population de projets d'innovation est potentiellement chaotique. En conséquence, nous supposons qu'il existe des lois sous-jacentes qui permettent d'expliquer la dynamique d'évolution que nous observons. Cette évolution n'est donc aucunement aléatoire, au contraire, elle est soumise à un couplage de forces de rétroaction positives et négatives qui ont deux origines. D'une part, elles sont exogènes à la population et se rapportent à la littérature portant sur les modes de gestion de l'innovation. D'autre part, elles sont endogènes à la population, c'est-à-dire qu'elles sont fonction des relations d'interaction existant entre chacun des projets. Pour l'entreprise, l'objectif n'est pas de privilégier l'une des forces au détriment des autres, mais de les faire coexister afin de susciter l'émergence d'innovations. En outre, notre recherche nous permet d'observer une modification de la configuration interne de la population. Ceci a modifié l'évolution de la population de projets d'innovation, favorisant les projets les plus aptes à survivre par une forme de sélection naturelle.

La population fait appel à l'auto-organisation pour faire face aux modifications de sa relation avec l'environnement. La structure du système est altérée par un processus de son propre ressort. Comme le font les systèmes naturels, la population de projets d'innovation s'adapte à son environnement : elle change les entités de pilotage, réduit son nombre d'individus. On retrouve alors l'intérêt d'étudier l'innovation au niveau de la population de projets et non au niveau individuel. Le centre d'intérêt de la recherche ne se situe pas dans l'adaptation de chaque entité de la population prise individuellement, mais dans une adaptation distribuée sur toute la population.

En conséquence, dans le contexte que nous venons de décrire, le dirigeant doit adopter des outils et des modes de gestion dérivés de l'étude des systèmes dynamiques non linéaires tels que la démarche incrémentale, l'expérimentation ou l'auto-organisation.