AIMS

Stévenot Anne
Les conflits dans la relation Capital Investisseur – dirigeant : une analyse en termes de gouvernance cognitive

Auteur

Anne Guery-Stévenot

Résumé

De plus en plus, en France comme à l’étranger, les entreprises non cotées font appel à des sociétés de Capital Investissement pour financer leur développement. Le Capital Investisseur (CI) apporte des fonds propres aux entreprises qu’il accompagne en qualité d’actionnaire pendant une durée limitée à quelques années. Dans la mesure où la rentabilité de son investissement dépend de la valeur prise par l’entreprise entre l’entrée et la sortie, le CI entend par son implication active contribuer à la création de valeur. Si la plupart des travaux sur la relation CI-dirigeant s’intéressent aux mécanismes spécifiques de contrôle et d’évaluation dans le cadre de la théorie de l’agence, peu étudient les enjeux en termes d’échange et de création de ressources cognitives susceptibles d’apporter une valeur ajoutée.
Quelques travaux pionniers amorcent une analyse cognitive de la gouvernance des entreprises financées par CI en montrant la participation de l’investisseur en termes d’aide à la stratégie et à la gestion. Toutefois, ces travaux, essentiellement quantitatifs, se focalisent sur la dimension consensuelle de la relation et ignorent les limites de la collaboration productive, liées notamment à la possibilité de conflits cognitifs entre les acteurs. Au travers d’une étude qualitative longitudinale de onze cas d’entreprises financées par CI, l’auteur s’interroge sur ces limites et observe l’existence de conflits sociocognitifs latents entre CI et dirigeant qui se déclarent pour peu que les résultats se dégradent. Ces conflits portent sur les objectifs ou les moyens à mettre en oeuvre pour les atteindre et/ou viennent d’une contestation de l’acquis et des territoires de pouvoir. Les réactions psychologiques alimentent le cercle vicieux du conflit. En particulier, les dirigeants témoignent d’un état de réactance psychologique, en situation de conflit, face à l’intervention du CI, qui entraîne un blocage à l’échange et se traduit par des stratégies d’enracinement. Peu de mécanismes de gouvernance intentionnels (logique disciplinaire, négociation, médiation) permettent la résolution de ces conflits et l’alignement des schémas cognitifs. En revanche, les dimensions sociales et psychologiques qui fondent la confiance entre CI et dirigeant limitent le risque de conflit et favorisent leur dépassement le cas échéant. En particulier, la logique identitaire de la confiance ainsi que le respect de la justice procédurale par la transparence, des relations fréquentes et informelles et l’autonomie laissée au dirigeant jouent des rôles majeurs à ce niveau. Ces résultats invitent les acteurs en jeu à une plus grande attention aux dimensions psychologiques et sociales de la relation de financement par CI et montrent l’importance de l’encastrement social de la relation CI–dirigeant pour les travaux ultérieurs. Cette étude engage par ailleurs une réflexion sur les liens entre logiques disciplinaires et cognitives de la gouvernance, dans une perspective synthétique.