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Barral Hélène, Demers Christiane

Auteur

Christiane DEMERS

Hélène BARRAL


Résumé

 

Pour assurer leur survie, les entreprises doivent réussir à maintenir leur légitimité tant à l'interne qu'à l'externe. Dans le contexte actuel, les questions environnementales deviennent un enjeu de plus en plus important pour la légitimité des entreprises et les sociétés productrices d'électricité se trouvent au coeur de ce débat. Si elles veulent sauvegarder leur légitimité, ces dernières doivent convaincre les parties concernées (gouvernements, groupes de pression, citoyens, consommateurs, employés, etc.) que leur stratégie constitue la façon optimale de fournir ce service indispensable tout en protégeant adéquatement l'environnement.

Traditionnellement, protection de l'environnement et développement économique étaient vus comme opposés, le premier de ces objectifs devant être poursuivi au détriment de l'autre (Buchholz, 1993). En effet, pour la majorité des entreprises, la protection de l'environnement était vue en termes de coûts qui réduisaient les investissements que l'on pouvait faire dans la croissance de l'entreprise. Cependant, depuis le milieu des années 80, on parle de plus en plus de réconciliation entre objectifs économiques et environnementaux (Buchholz, 1993; Dechant & Altman, 1994) et c'est autour du concept de développement durable (Bruntland, 1987) que semble s'articuler ce nouveau discours. Toutefois, les exemples qui reviennent le plus souvent lorsque l'on traite de développement durable sont des solutions ayant trait, soit à la réduction de la pollution, à l'élimination de déchets ou à la prévention de coûts environnementaux, qui ne remettent pas en question le coeur des activités de l'entreprise (voir notamment les exemples donnés dans Dechant et Altman, 1994; Boiral et Jolly, 1992).

Lorsque l'on tente d'appliquer cette notion de développement durable à des secteurs où l'activité principale est en elle-même problématique du point de vue environnemental, comme c'est la cas pour la production d'électricité, la réconciliation entre objectifs économiques et objectifs environnementaux est plus difficile à faire. En effet, pour les producteurs d'électricité, le développement économique est traditionnellement associé à la construction de nouvelles installations, tandis que la protection de l'environnement exigerait que l'on ne construise pas, donc équivaut plus ou moins à un objectif de croissance zéro. De plus, les entreprises d'électricité parce qu'elles fournissent un service public essentiel, sont soit des sociétés d'État ou fortement réglementées et, pour être légitimes, elles doivent avoir les tarifs les plus bas possible. Or, d'une part, des tarifs plus faibles encouragent la consommation et donc la croissance de la demande; d'autre part, les restrictions sur les hausses de tarifs, en réduisant les ressources disponibles, peuvent nuire à l'investissement dans des programmes visant la protection de l'environnement. La question qui se pose alors est la suivante: comment, dans un contexte d'ambiguïté, les entreprises gèrent-elles ces contradictions, afin de préserver leur légitimité?

Nous croyons que l'étude des entreprises d'électricité est particulièrement intéressante pour tenter de répondre à cette question, parce qu'il s'agit d'entreprises très visibles qui, à cause de leur importance historique, économique et stratégique, sont devenues des institutions. Or, le défi environnemental entraîne une remise en question de l'identité même de ces entreprises ce qui en fait des cas particulièrement révélateurs pour qui s'intéresse à la gestion de la légitimité.

Dans ce travail, nous analyserons donc l'évolution du discours stratégique, entre 1970 et 1992, de trois sociétés d'électricité canadiennes: Hydro-Ontario, Hydro-Québec et BC Hydro (British Columbia Hydro) afin de voir ce qu'elles nous apprennent sur la gestion de la légitimité, particulièrement la gestion de la contradiction.