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Allard-poesi Florence

Auteurs

Florence ALLARD-POESI

Résumé

Un des outils majeurs de l'approche cognitive est la carte cognitive ou causale. Les cartes sont ainsi utilisées pour représenter les croyances des managers (voir des recherches de Cossette, 1989; 1993; 94 a et b; Calori et al., 1993; 94) ou plus largement de l'organisation (Huff, 1990), et ce, soit dans un objectif purement descriptif des propriétés cognitives de l'individu ou de l'organisation étudié, soit pour expliquer à partir de leur contenu ou propriétés structurelles, d'autres phénomènes individuels (voir Komocar, in Cossette 1994a), ou organisationnels (voir Roos et Hall, 1980; Hall, 1976; Fahey et al, 1989; in Huff, 1990), voire pour prédire le comportement futur des sujets détenteurs de ces cartes (voir Axelrod, 1976). Cette utilisation extensive des cartes cognitives et outils dérivés (tels les diagrammes d'influence -Diffenbach, 1982-) par les tenants du paradigme cognitif a induit une assimilation quelque peu hâtive de cet outil à un concept, puis à l'approche conceptuelle qui en fait l'usage. On parle ainsi de "courant des cartes cognitives" (Laroche et Nioche, 1994; Lauriol, 1994), comme s'il s'agissait d'un concept monolithique et porteur d'une théorie à lui seul.

Cette confusion du paradigme cognitif et de l'outil qu'est la carte cognitive peut conduire à assimiler les critiques formulables à l'encontre des cartes avec celles tenant aux limites de l'approche cognitive de l'organisation. En d'autres termes, l'amalgame théorie / outil effectué par ses détracteurs rend tentant de "jeter le bébé avec l'eau du bain". L'approche cognitive de l'organisation fait en effet aujourd'hui l'objet de nombreuses critiques: Angelmar et Schneider (1993) soulignent ainsi que la recherche tend à confondre l'unité d'analyse (en général organisationnelle) avec les mesures (reposant sur des agrégats de mesures individuelles) ce qui tend à un biais d'anthropomorphisme ou une fallacie inter-niveau (Rousseau, 1985). D'autres (Spender; 1994; Laroche et Nioche, 1994) lui reprochent une tendance à la réification de la cognition. Laroche et Nioche (1994) ajoutent plus précisément à l'encontre des cartes qu'elles sont avant tout une métaphore et qu'elles ne peuvent "saisir des processus cognitifs aussi complexes que ceux en jeu dans les décisions", notamment de par le fait qu'elles sont avant tout une projection, un aplatissement qui provoque une perte importante d'informations. Ils leur reprochent enfin (Voir aussi Laroche, 1995) de reproduire implicitement le modèle rationnel de la décision, les cartes donnant selon eux l'illusion que l'on peut saisir les actions en tenant les ressorts de la pensée qu'elles dévoilent.

Certes, ces critiques sont pertinentes si l'on considère globalement l'utilisation qui a été faite des cartes cognitives. Mais à notre sens, plus que des lacunes tenant aux caractéristiques intrinsèques de l'outil, ces problèmes viennent des limites mêmes de l'approche cognitive de l'organisation. Les biais d'anthropomorphisme et de réification remarqués par Schneider et Angelmar (1993) tiennent en fait bien plus au postulat sous-jacent du paradigme cognitif, qui considère les niveaux individuels et collectifs de la cognition comme étant isomorphiques. Dans une perspective similaire, le postulat implicite critiqué Laroche et Nioche (1994) que la pensée précède l'action, et qu'en connaissant le contenu de celle-ci on peut prédire ou expliquer celle-là, trouve ses origines dans un des courants théoriques du paradigme cognitif, et fait l'objet de nombreux débats à l'heure actuelle surtout dans une problématique ayant trait à l'apprentissage organisationnel (Voir par exemple, Spender, 1994). Enfin, la critique de réductionnisme formulée par Laroche et Nioche à l'encontre des cartes peut être effectuée pour tout outil de mesures de quelque construit que ce soit. Elle ne tient d'ailleurs plus si l'on se réfère à la définition même de la carte: elle n'est qu'une représentation de croyances d'une personne en ce qui concerne un domaine particulier, et ne prétend donc pas représenter des processus ou l'ensemble des contenus de la pensée d'un sujet. Si ses utilisateurs en ont donné l'illusion, celle-ci ne tient qu'à eux.

Globalement, il nous semble que les objections émises à l'encontre des cartes et/ ou de l'approche cognitive de l'organisation émanent bien plus d'ambiguïtés et lacunes du courant théorique lui-même, et donc à l'utilisation consécutive de l'outil, qu'à ses caractéristiques intrinsèques. L'assimilation "courant cognitif" et "courant des cartes" nous semble donc dangereuse, ce d'autant que "le courant des cartes" est loin d'être homogène. Les études et recherches utilisant les cartes révèlent en effet une très grande variété, et ce, tant du point de vue de l'utilisation qui en est faite et des courants théoriques qu'elles servent, que des statuts ontologiques qui lui sont accordés et les démarches méthodologiques utilisées pour les établir. Une telle richesse peut certes entretenir le manque de clarté des recherches s'inscrivant dans le paradigme cognitif, mais elle fait aussi des cartes un outil particulièrement intéressant.

Ayant distingué les cartes de l'approche théorique qui les utilise, nous nous proposons de présenter plus avant cet outil: Nous exposons dans un premier temps les définitions et méthodes d'établissement existantes des cartes cognitives en soulignant les avantages et inconvénients de celles-ci du point de vue des critères de richesse, faisabilité, validité et fiabilité. Puis, nous montrons que les cartes peuvent faire l'objet d'analyses très variées et servir des objectifs de recherche différenciés. Nous essayons enfin de mettre en évidence en nous inspirant des travaux de Cossette et ses collaborateurs (1994), que les recherches utilisant les cartes causales renvoient à des définitions et statuts ontologiques de celles-ci différenciés, statuts qu'il s'agit de décliner en méthodes et critères de validité pertinents.