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ST-AIMS 09 : L’éthique dans les nouvelles formes organisationnelles : quête de sens, vertus du manager, nouvelles valeurs et nouvelles pratiques

 

L’émergence de grands défis sociétaux (Gümüsay et al., 2022) ont amené certaines organisations à évoluer et à se transformer pour intégrer dans leur fonctionnement de nouveaux enjeux tels que l’agilité, l’intelligence collective, le sens au travail, la démocratisation, etc. Dans ce contexte, de nombreux manifestes et appels incitent chercheurs et praticiens à reconsidérer l’organisation du travail dans sa globalité. Beaucoup d’expérimentations organisationnelles sont ainsi lancées visant, par exemple, à autonomiser les équipes de travail, à décentraliser les prises de décisions, à compresser le temps de travail (e.g. semaine de 4 jours) ou encore à le rendre plus flexible (e.g. télétravail).

 

Dans la communauté francophone, l’une de ces expérimentations, « l’entreprise libérée », a notamment suscité un intérêt particulier tant dans la littérature académique que parmi les managers (Corbett-Etchevers et al., 2019 ; Gilbert et al., 2018 ; Sferrazzo et Ruffini, 2019 ; Warrick et al., 2016). Il s’agit d’« une forme organisationnelle dans laquelle les salariés ont une complète liberté et responsabilité pour faire les actions qu’eux-mêmes, et non leur supérieur, estiment les meilleures » (Getz, 2009, p.34). Comme le suggère le terme, cette forme organisationnelle qui libère les employés des contraintes de la hiérarchie peut être assimilée à une « self-managing organization » (Lee et Edmondson, 2017). En effet, cette dernière favorise également la capacité des équipes opérationnelles à participer à la prise de décision, voire à décider par elles-mêmes. Toutefois, plusieurs enjeux sont liés à l’adoption de ces nouvelles formes organisationnelles parmi lesquels le renforcement des capacités individuelles (Sferrazzo et Ruffini, 2019) et la responsabilisation des travailleurs de première ligne afin qu'ils aient plus d'autonomie et que leur travail ait ainsi plus de sens (Battistelli et al., 2023 ; Carney et Getz, 2009). Les effets restant quant à eux discutés. D’une part, certains chercheurs soulignent les bénéfices de ces pratiques managériales sur le bien-être au travail (Corbett-Etchevers et al., 2019 ; Ramboarison-Lalao et Gannouni, 2019), sur la performance sociale (Mattelin-Pierrard et al., 2023), et invitent à questionner l’intérêt des pratiques managériales de libération sur les dynamiques de démocratisation de l’entreprise (Pastier, 2023). D’autre part, des études montrent comment l’adoption de nouvelles formes d’organisations peuvent aussi générer davantage de contrôle informel et constituer des manipulations nourrissant des modes de management fantasmés (Fleming et Sturdy, 2009 ; Ekman, 2014 ; Picard et Islam, 2020 ; Daudigeos et al., 2021 ; de Ridder et Taskin, 2021 ; Shymko et Frémeaux, 2022).

 

Les nouvelles formes organisationnelles et managériales, ainsi que les pratiques qu’elles sous-tendent dans les organisations, soulèvent de nombreux questionnements pour les chercheurs en sciences de gestion regroupés en différentes thématiques d’intérêt :

 

-       Nouvelles formes organisationnelles et vertus du manager

Dans les processus d’adoption et de pérennisation de nouvelles formes organisationnelles, le manager a un rôle clé (Letierce et al., 2023). Il doit repenser sa posture, remettre en question ses rôles et renouveler ses pratiques. Ceci exige de lui des capacités, des aptitudes et des vertus spécifiques encore peu étudiées (Aristote, 2000). Nous pouvons citer par exemple l’authenticité et le développement de la capacité à « être soi » en entreprise, perçu par certains comme une injonction imposée dans les nouvelles formes de management (Fleming et Sturdy, 2009 ; Bardon et al., 2023). De la même façon la notion de « courage managérial » est souvent listée parmi les qualités que doit avoir le manager pour expérimenter avec succès des nouvelles formes d’organisations (décentralisation de la prise de décision, abandon du contrôle hiérarchique, etc.), mais celle-ci reste toutefois peu étudiée en profondeur (Getz, 2009 ; Carney et Getz, 2009 ; Sferrazzo et Ruffini, 2019). Entre lâcher-prise, laisser-faire et exemplarité de l’action : comment définir le courage dans les organisations ? Comment ce courage se manifeste-t-il ? Favorise-t-il vraiment l’autonomisation des salariés ? Quelles sont ses répercussions au sein des équipes ?

 

-       Nouvelles formes organisationnelles et sens au travail

Les nouvelles formes d’organisation et de management engagent-elles davantage les travailleurs ? De plus en plus de termes et d’expressions fleurissent pour désigner certaines pratiques du monde du travail.  Des phénomènes comme la « Great Resignation », le « Quiet Quitting » (ou plus récemment le « Quiet Firing » ou « Quiet Cutting ») soulignent le fait que le sens au travail est une préoccupation majeure pour de nombreux professionnels. Il renvoie à la quête de réalisation de soi, d'alignement avec ses valeurs et d'impact positif sur la société et sur les autres (Rosso et al., 2010). L'engagement, la satisfaction et le bien-être au travail sont également souvent liés à cette notion de sens (Baumeister et Vohs, 2002). Dans ce contexte, les nouvelles formes d’organisations jouent-elles favorablement dans les mécanismes de création de sens au travail ?

 

-       Nouvelles formes organisationnelles, dynamiques collectives et valeurs organisationnelles

Ces nouvelles formes de management consistent souvent à redistribuer des responsabilités managériales, et incitent les équipes à dépasser le cadre strict de leur fonction. Cette réorganisation vient alors transformer les dynamiques collectives au sein des équipes, et ainsi potentiellement la culture organisationnelle en s’appuyant sur de nouvelles valeurs (Bossard-Préchoux et Grevin, 2021). Comment des valeurs telles que l’amitié, l’amour, la fraternité ou encore le don peuvent-elles constituer les fondements d’une culture organisationnelle ? Quelles sont les conséquences individuelles, collectives et managériales de telles transformations culturelles ? Quelle est la place des rituels collectifs dans ces nouvelles formes d’organisation ?

 

-       Nouvelles formes organisationnelles et « grand challenges »

Les contributions des entreprises aux « grand challenges » amènent la recherche à investiguer les modalités de gestion et d’organisation par lesquelles ces contributions se déclinent, aussi bien en termes de stratégie (Ferraro et al., 2015), de design organisationnel (George et al., 2023) ou encore de formes organisationnelles et managériales (Etzion et al., 2017 ; Battistelli, 2021). Ainsi, si la volonté des entreprises à contribuer aux enjeux de société modifie l’organisation, elle transforme également le management opérationnel. Dans cette optique, comment la responsabilité sociétale affichée par les entreprises se distribue-t-elle dans leur organisation ? Comment se combine-t-elle à la fois à la responsabilité partagée du collectif et aux responsabilités individuelles de chaque membre de l’organisation ?

 

Mots-clés : nouvelles formes organisationnelles, quête de sens, transformation organisationnelle, vertus managériales, entreprise libérée, self-managing organization

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