Si les travaux sur la créativité sont très divers, ils restent toutefois centrés sur l’individu créatif dans un environnement lui-même créatif. Afin de dépasser ces limites, nous proposons de mobiliser la théorie de la pratique qui permet d’aborder la créativité comme pratique sociale collective rattachée au travail en situation, établissant ainsi le lien entre l’individu, le collectif et l’organisation. Nous avons choisi d’étudier une organisation de type mécaniste a priori considérée comme peu créative : la SNCF. Notre objectif est alors de répondre à la question : comment et sous quelles conditions se développe la créativité comme pratique collective dans une bureaucratie mécaniste – i.e. une structure mise au point « pour fonctionner comme des machines bien intégrées et bien réglées » (Mintzberg, 1982, p. 282) – et quels effets la créativité produit-elle sur cette organisation ? Nous avons étudié plusieurs démarches au potentiel créatif varié, mises en place entre le début des années 2010 et 2015. Pour cela, nous avons réalisé une étude de cas sur la base d’entretiens (réalisés lors de deux périodes distinctes), d’observations et de documents internes. L’analyse de ces données, que nous avons choisi de restituer sous forme d’intrigues (Ricœur, 1983), montre en premier lieu que le développement d’une pratique créative dans une organisation mécaniste ne peut s’isoler d’un agir collectif en situation de travail opérationnel. Ces résultats nous permettent alors de discuter la créativité comme pratique collective située permettant d’établir un lien entre l’individu, le collectif et l’organisation à trois niveaux : le regroupement d’individus au sein d’un collectif créatif, la dimension politique de la créativité comme pratique sociale (enjeux pour la direction, pour les managers et les individus eux-mêmes) et la nécessité de relier la créativité à l’espace de travail afin de la légitimer au sein de l’organisation.