GT Innovation
AIMS – NIMEC (Université Caen – IAE) – DRM Innovation-MLab (Université Paris Dauphine)
Les nouvelles frontières de l’innovation ouverte
18-20 octobre 202
Lieu : Université de Caen- Campus 1 (proche du centre ville)
APPEL A COMMUNICATIONS
Le modèle de l’innovation ouverte suscite depuis maintenant une bonne quinzaine d’années de nombreuses recherches en management (Chesbrough, 2020) et a même un lieu de réflexion dédié (le WOIC : World Open Innovation Conference) ; des zones d’ombre demeurent toutefois. En particulier, ce modèle trouve son origine dans l’étude des dispositifs organisationnels mis en place par des grandes entreprises évoluant dans des secteurs à forte intensité technologique et capables de profiter de la mondialisation et de la dématérialisation. Chesbrough lui-même et bon nombre de chercheurs adeptes de l’Open Innovation Model (Chesbrough et Crowther, 2006 ; Gassmann et al., 2010 ; Bogers et al. 2017) ont souligné la nécessité d’étudier l’adoption de ce modèle, ses pratiques et ses effets dans d’autres secteurs et plus globalement dans d’autres contextes. C’est l’objet de ces Journées 2022 du GT Innovation de l’AIMS : discuter de l’extension du domaine de l’innovation ouverte, de ses territoires et donc de ses frontières.
Popularisé en 2003 par Henry Chesbrough, l’open innovation model caractérise une modification des pratiques d’entreprises en matière d’innovation liée à quatre importants changements observables dans de nombreux secteurs d’activité : diffusion rapide de nouvelles technologies génériques, disparition progressive des frontières traditionnelles entre les industries, intensification de la concurrence au niveau mondial et multiplication de nouveaux modèles d’affaires favorisant des comportements disruptifs. Ces changements sont particulièrement difficiles à gérer dès lors qu’ils entraînent à la fois une explosion des investissements en R&D et un raccourcissement des cycles de vie des produits. Il est donc tentant pour les entreprises « d’ouvrir » leur processus d’innovation en innovant avec d’autres organisations ou acteurs (concurrents, clients, bénéficiaires, utilisateurs, fournisseurs, startups, centres de recherches publics ou privés, universités, collectivités, associations…), permettant ainsi de ne plus s’appuyer uniquement sur les ressources internes. Concrètement, cette « ouverture » se matérialise par deux processus pouvant ou non être mixés (coupled process) : le premier est de type « dehors-dedans » (« outside-in ») et le second « dedans-dehors » (« inside-out »).
Bien entendu, la performance d’un tel modèle n’est pas garantie. Sa mise en œuvre ne va pas de soi : comme dans toute activité fondée sur la coopération d’organisations distinctes, les acteurs doivent faire face à de « nouveaux » défis ayant trait aux modalités de la création de valeur collective et à son appropriation (Suire et al., 2018). Dans la lignée de la synthèse de Tellier (2021), trois problématiques peuvent être mis en évidence :
1. Tout d’abord, ces coopérations innovatrices peuvent se constituer à différents niveaux (individus, communautés, organisations). Au niveau organisationnel, les travaux académiques ont montré que l’innovation ouverte peut se concrétiser par une multitude de pratiques, anciennes ou récentes, comme les coopérations technologiques, l’essaimage ou encore la vente de brevets (Chesbrough et al., 2006 ; Pénin et al., 2011 ; Pillon, 2021). Au niveau individuel, c’est essentiellement l’utilisation des plateformes en ligne connectant les entreprises à différents types d’individus - comme les plateformes de « crowdsourcing » (Liotard, 2012 ; Renault, 2014 ; Ruiz et al., 2017) - qui a été la plus étudiée même si des travaux récents ont étendu ces questions à tout un ensemble de communautés d’innovation (par exemple, les communautés de pratique, d’intérêt ou encore épistémiques).
2. Ensuite, le pilotage des dispositifs d’innovation ouverte soulève des questions spécifiques (Ollila et Elmquist, 2011 ; Suire et al., 2018) concernant le choix des partenaires, du régime juridique retenu et plus généralement du pilotage opérationnel du projet partagé afin de s’assurer qu’aucun des partenaires ne se retrouve lésé (Gandia et al., 2011).
3. Enfin, l’impact de l’open innovation sur les caractéristiques-mêmes de l’innovation est encore mal cerné. Rares sont en effet les travaux qui questionnent les effets de l’ouverture du processus d’innovation sur les types d’innovation développés (Kim et Lui, 2015, Pillon 2021) alors qu’il est désormais acquis que les dispositifs organisationnels retenus pour gérer le processus d’innovation peuvent avoir un impact sur le résultat final (Davila et al., 2006).
Au-delà de ces questions, il semble tout aussi légitime de se poser la question des territoires de l’innovation ouverte et de leurs frontières. Le monde de l’innovation ouverte est traditionnellement associé à la grande entreprise high tech et aux acteurs partenaires généralement impliqués : start-ups, centres de recherche, intermédiaires d’innovation et concurrents. Pourtant l’open innovation ne peut être restreinte à ce seul contexte. L’ouverture du processus d’innovation est un modèle bien établi par exemple dans le champ de l’innovation sociale et constitue même, pour certains auteurs, une composante intrinsèque du processus d’innovation sociale (Murray, Caulier-Grice and Mulgan, 2010 ; Cajaiba-Santana, 2014). En 2014, Chesbrough et di Minin proposent ainsi une déclinaison de l’open innovation au champ de l’innovation sociale, introduisant le concept d’open social innovation (Chesbrough et di Minin, 2014). Qu’en est-il des autres environnements sectoriels, des autres acteurs possibles de l’innovation ou encore des autres pays que ceux du bloc occidental (USA et Europe de l’ouest notamment) ? Cette réflexion est au cœur du dernier ouvrage de Chesbrough (2020) qui milite en faveur de l’extension du domaine de l’innovation ouverte et identifie d’ailleurs explicitement quelques pistes : les smart cities, le cas d’un pays rural comme l’Inde ou encore celui de la Chine moderne, les influences de l’Open Science et des méthodes Learn Startup sur le processus.
Finalement, on peut se demander quels seront les impacts de la crise sanitaire liée à la covid sur les modèles d’innovation ouverte. L’urgence et le besoin de solutions inédites ont stimulé l’émergence de collaborations nouvelles entre des acteurs œuvrant dans des secteurs très différents pour produire du matériel médical ou des masques. La pérennité et l’éventuelle transformation de ces collaborations peuvent être l’objet d’investigations ainsi que, plus largement, les potentialités offertes par l’open innovation pour répondre aux défis environnementaux et sociétaux.
On le voit, les questions portant sur les frontières et les territoires de l’innovation ouverte sont nombreuses. Par exemple :
- Une entreprise doit-elle définir sa « politique d’innovation ouverte » ? Cette expression a -t-elle un sens ?
- Comment les partenaires de l’ouverture sont-ils repérés et sélectionnés ? Le concept d’écosystème est-elle indissociable de l’innovation ouverte ? Plus généralement, quelles relations entretiennent ces deux concepts ?
- Si les pratiques d’innovation ouverte de la grande entreprise high tech sont assez bien caractérisées aujourd’hui, les connaissances restent insuffisantes lorsqu’il s’agit d’autres typologies d’acteurs comme les PME, les acteurs publics, les associations et ONG ou les intermédiaires « classiques » de l’innovation. Ont-ils des pratiques préférentielles ou alternatives en matière d’innovation ouverte ? Des pratiques spécifiques ?
- Qu’en est-il de l’adoption des pratiques d’innovation ouverte dans d’autres secteurs que ceux dits high tech » ? Y devient-elle le modèle dominant ? Au-delà, existe-t-il des spécificités sectorielles en matière de stratégies et de pratiques ? Si oui, lesquelles ?
- Existe-t-il des facteurs d’influences socio-culturelles en matière d’innovation ouverte ? Quel est l’état des connaissances en la matière ? Est-il possible de repérer des modèles culturels distincts en matière d’innovation ouverte ?
- En quoi les expérimentations d’open innovation dans des contextes non marchands peuvent-elles contribuer à régénérer ou interroger le pilotage de l’open innovation de façon plus générale ?
- Comment assurer le pilotage d’un projet d’innovation ouverte (en termes par exemple de cohérence et de création de valeur) quand celui-ci combine des ressources internes et externes ?
- Faut-il dédier des acteurs spécifiques au management de ces projets ouverts ? Quels sont leurs profils ?
- Quels sont les enjeux et dispositifs juridiques nécessaires pour que l’échange des connaissances et des compétences puisse opérer ? Comment le construire ? Doit-il évoluer au cours du temps et selon la temporalité du projet ?
- Quels sont les modèles ou règles soutenant le partage de la valeur créée ? Comment ces règles peuvent-elles être élaborées ? A quels moments de la coopération ?
-L’innovation ouverte s’inscrit-elle dans des territoires spécifiques, géographiques ou symboliques ?
-Quels sont les enjeux et spécificités de l’innovation ouverte pour répondre aux crises et aux nouvelles problématiques environnementales et sociétales ?
- En quoi les modalités d’ouverture du processus d’innovation viennent-elles interférer sur la nature même de l’innovation ou le niveau d’impact produit dans le cas particulier de l’innovation sociale ?
La liste de ces questions n’est bien entendu pas exhaustive. Tous les sujets se rapportant à l’innovation ouverte sont les bienvenus. Nous sommes ouverts à des contributions mobilisant différentes méthodologies, des contributions théoriques ou empiriques mais aussi issues de différents champs disciplinaires. Des articles adoptant une perspective plus critique sont également les bienvenus.
Eléments bibliographiques
Bogers M., Zobel A.K., Afuah A., Almirall E., Brunswicker S., Dahlander L., Frederiksen L. (2017), Gawer A., Gruber M., Haefliger S. et Hagedoorn G., « The open innovation research landscape : established perspectives and emerging themes across different levels of analysis », Industry and Innovation, vol. 24, n°1, p. 8-40.
Cajaiba-Santana G. (2014), “Social innovation: Moving the field forward. A conceptual framework”, Technological Forecasting and Social Change, n°82, p. 42–51.
Chesbrough H.W. (2003), Open Innovation: The New Imperative for Creating and Profiting from Technology, Harvard Business Press, Cambridge.
Chesbrough H., (2020), Open Innovation Results – Going beyond the hype and getting down to business, Oxford University Press.
Chesbrough H. et Crowther A.K. (2006), “Beyond high tech: Early adopters of open innovation in other industries”, R&D Management, vol. 36, n° 3, p. 229-236.
Chesbrough H.W. et Di Minin A. (2014), “Open Social Innovation”. In: New Frontiers in Open Innovation, Oxford University Press, Oxford.
Davila T., Epstein M.J. et Shelton R. (2006), Making Innovation Work. How to Manage It, Measure It, and Profit from It, Wharton School Publishing, Philadelphia.
Gandia R., Brion S. et Mothe C. (2011), « Innovation ouverte et management de la propriété intellectuelle : Quelles stratégies dans le secteur du jeu video ? », Revue Française de Gestion, vol. 37, n° 210, p. 117-131.
Gassmann O., Enkel E. et Chesbrough H. (2010), “The future of open innovation”, R&D Management, vol. 40, n° 3, p. 213-221.
Kim Y. et Lui S.S. (2015), “The impacts of external network and business group on innovation: Do the types of innovation matter?”, Journal of Business Research, vol. 68, n° 9, p. 1964-1973.
Liotard I. (2012), « Les plateformes d’innovation sur Internet : arrangements contractuels, intermédiation et gestion de la propriété intellectuelle », Management International, vol. 16, hors-série, p. 129-143.
Murray R., Caulier-Grice J. et Mulgan G. (2010), The open book of social innovation, vol. 24, London:Nesta.
Ollila S. et Elmquist M. (2011), “Managing open innovation: Exploring challenges at the interfaces of an open innovation arena: Managing open innovation”, Creativity and Innovation Management, vol. 20, n° 4, p. 273-283.
Pénin J., Hussler C. et Burger-Helmchen T. (2011), “New shapes and new stakes: A portrait of open innovation as a promising phenomenon”, Journal of Innovation Economics & Management, vol. 1, no 7, p. 11-29
Pillon E. (2021), Expliquer l'adoption des pratiques d'innovation ouverte des PME par les caractéristiques stratégiques, organisationnelles et environnementales, Thèse de doctorat, Université de Caen.
Sarazin B., Cohendet P. et Simon L. (dir.) (2017), Les communautés d’innovation. De la liberté créatrice à l’innovation organisée, EMS, Caen.
Renault S. (2014), « Crowdsourcing compétitif : ressorts et enjeux », Recherches en Sciences de Gestion, n°2, p. 59-80.
Ruiz E., Brion S. et Parmentier G. (2017), « Les barrières à la mise en œuvre du crowdsourcing pour innover », Revue Française de Gestion, n°263, p. 121-140
Suire R., Berthinier-Poncet A. et Fabbri J. (2018), « Les stratégies de l’innovation collective », Revue Française de Gestion, vol. 44, n° 272, p. 71-84
Tellier A. (2021), « L’adoption de l’open innovation dans l’industrie musicale - Une analyse des collectifs d’acteurs dans le rap américain », Revue Française de Gestion, n°296, p. 85-106.
COMITE D’ORGANISATION
Sonia Adam-Ledunois, Université Paris Dauphine-PSL
Pascal Auregan, Université de Caen
Nabil Khelil, Université de Caen
Thomas Loilier, Université de Caen
Magali Malherbe, Université de Caen
Fanny Simon, Université de Caen
Albéric Tellier, Université Paris Dauphine-PSL
CALENDRIER
1. Soumission des communications complètes (full paper) : 20 avril 5 juin 2022
2. Retour des avis du comité scientifique : 20 juin 2022
3. Version définitive : 20 septembre 2022
Envoi à thomas.loilier@unicaen.fr
FANNY SIMON - fanny.simon@unicaen.fr>> Programme (doc) |
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