AIMS

Brabet Julienne, Palpacuer Florence, Pérez Roland, Seignour Amélie, Tozanli Selma
Financiarisation et globalisation des stratégies d’entreprise: Le cas des multinationales agroalimentaires en Europe

Auteurs

Florence Palpacuer

Roland Pérez

Selma Tozanli

Amélie Seignour

Julienne Brabet

Résumé

Cette communication présente les principaux résultats d’une étude menée sur une trentaine de grandes firmes multinationales agro-alimentaires (FMN-A) en Europe. Dans la lignée des travaux multidisciplinaires faisant apparaître une influence croissante des logiques financières dans le pilotage stratégique des grandes firmes, nous nous intéressons aux interactions entre dynamiques actionnariales et concurrentielles dans la stratégie des FMN-A, ainsi qu’à leurs implications en matière d’organisation et d’emploi. Notre étude fait apparaître trois grands types de résultats. En premier lieu, nous montrons que la nature de l’actionnariat des FMN-A reste marquée par une forte spécificité nationale, associée à des comportements spécifiques en matière d’utilisation des richesses créées par l’entreprise. L’analyse des structures actionnariales de 18 FMN-A révèle ainsi que le poids des investisseurs institutionnels parmi les dix premiers actionnaires est bien plus élevé chez les firmes américaines que chez leurs homologues européennes, qui demeurent sous contrôle soit managérial, soit familial. Parallèlement, les FMN-A américaines ont redistribué en moyenne 90% de leur cash flow aux actionnaires sur la période 96-00, tandis que les FMN-A européennes n’ont redistribué que 33% des cash flow générés.

Pourtant, l’observation des évolutions plus récentes des très grandes FMN-A européennes telles que Danone, Nestlé, ou Unilever révèle une financiarisation de leur stratégie. Une telle évolution n’étant pas imputable aux pressions de leur actionnariat dominant, c’est du côté du management stratégique, et dans l’interaction entre management stratégique et actionnariat, que des explications peuvent être recherchées. Cette hypothèse est corroborée par l’examen des stratégies concurrentielles adoptées par les grandes FMN-A au cours des années 1990 : toutes nationalités confondues, elles ont recomposé leurs portefeuilles d’activité pour évoluer d’une stratégie multi-domestique vers une stratégie globale basée sur le recentrage et la quête d’un leadership mondial. Le choix de cette stratégie, qui s’appuie sur une forte dynamique de croissance externe, semble constituer un moteur essentiel du rapprochement qu’ont effectué les grandes FMN-A européennes vis-à-vis des marchés financiers. L’existence de ce « couplage » entre globalisation et financiarisation constitue le second résultat central de notre analyse.

Enfin, nous faisons apparaître, de façon plus exploratoire, l’adoption de nouveaux modes d’organisation et de gestion de l’emploi au sein des grandes FMN-A. Les mutations repérées incluent une nouvelle structuration en branches mondiales, une centralisation des fonctions-clés de marketing, R&D, supply chain, GRH, système d’information, au niveau global ou macro-régional, ainsi que l’adoption de programmes de benchmarking et de rationalisation de la production au niveau local. À ce nouveau découpage organisationnel correspond une GRH désormais duale, distinguant la gestion des hauts potentiels au niveau global de celle du personnel de production au plan local. Nous questionnons, in fine, la viabilité de ce nouveau modèle qui éclate les dynamiques collectives traditionnellement construites au sein de la firme au niveau national, pour leur substituer un pilotage global de plus en plus standardisé et financiarisé.