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Durand Thomas, Ronteau Sébastien

Cet article vise à mieux comprendre les phénomènes organisationnels et culturels qui vont permettre à certaines entreprises d’innover durablement, encore et encore, au fil des années. Nous parlons d’entrepreneuriat organisationnel (entrepreneuriat O) pérenne pour décrire cette capacité de certaines organisations à innover ainsi dans la durée. En même temps que l’entreprise délivre des innovations, l’entrepreneuriat O émerge, se renforce, apprend, évolue. Il s’institutionnalise en produisant des innovations réussies. La première partie de l’article présente un premier cadre théorique de l’entrepreneuriat O envisagé tout à la fois comme processus d’institutionnalisation et comme contexte institutionnel d’expression et de légitimation de l’action innovante. La deuxième partie s’appuie sur des études de cas pour montrer de quelle manière les acteurs de l’entreprise, et parmi eux les dirigeants, œuvrent à l’élaboration d’un tel contexte susceptible de pérenniser les comportements d’innovation et d’entrepreneuriat au sein de l’entreprise. La troisième partie propose une modélisation théorique des dynamiques d’institutionnalisation associées au phénomène d’entrepreneuriat O ainsi qu’une version simplifiée mobilisable par les praticiens. Nos analyses suggèrent que le travail d’institutionnalisation de l’entrepreneuriat O opère en parallèle sur deux niveaux, d’une part l’histoire entrepreneuriale qui se fait et qui se raconte, d’autre part ce qui est retenu de cette histoire entrepreneuriale. Chaque niveau mobilise deux processus génériques : d’une part, les « actions symboliques menées par les leaders organisationnels » viennent façonner une légitimité des pratiques innovantes, d’autre part les « négociations et interactions répétées » que nouent les acteurs dans le quotidien de l’innovation diffusent ces pratiques et ancrent les perceptions des acteurs. Ces deux processus alimentent le second niveau, contribuant d’une part à l’élaboration d’une « vraisemblance sociale » (et donc à l’acceptabilité de l’entrepreneuriat O au sein de l’entreprise à travers « l’élaboration de preuves » résultant des innovations réussies) et d’autre part à l’émergence de formes de « catégorisation des perceptions et des expériences » qui constituent une sorte d’organisation cognitive des leçons apprises de l’expérience entrepreneuriale interne. Ce sont ces quatre processus à la fois imbriqués et superposés qui génèrent les éléments résultant ou « institués » de l’entrepreneuriat O : la structure des rôles et des pouvoirs, les processus et protocoles organisationnels, les valeurs culturelles. Au cœur de ce travail d’institutionnalisation, les dirigeants jouent un rôle clé en opérant tant au niveau symbolique qu’en projetant une vision stratégique et en influençant la structure et les processus organisationnels relatifs à l’innovation. Leur capacité à mobiliser les mythes fondateurs et les « faits d’armes » passés, leur capacité à porter et à transmettre une vision stratégique nourrie de projets entrepreneuriaux, leur capacité à orchestrer et animer un corps social jouent ainsi un rôle prépondérant dans ce que nous avons appelé l’institutionnalisation de l’innovation, c'est-à-dire, au fond, dans l’émergence et le renouvellement permanent d’une organisation et d’une culture pour l’innovation. Ceci permet aux acteurs concernés par l’innovation dans l’entreprise de se projeter dans l’action innovante sans avoir à réinventer du sens et à s’épuiser à chercher des soutiens de principe pour leurs prises d’initiative.