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Charlier Patrice, Defiebre Renaud, Grima François, Paulus Odile

Le management est aujourd’hui critiqué en tant qu’exercice du pouvoir, tout comme l’était plus tôt la bureaucratie. Le commandement par les règles formelles a cédé la place à la stimulation par le défi à relever, la performance à atteindre, l’implication à l’égard de l’organisation. L’individu gagnait en autonomie, en plaisir dans son travail, mais risquait aussi de s’impliquer de manière pathogène (i.e., dépendance au travail, épuisement), d’être trop sous l’emprise de l’organisation. A la lumière d’une lecture à partir du philosophe Paul Ricœur, ces évolutions semblent s’inscrire dans une tension entre deux logiques de pouvoir, le commandement par la règle et les statuts, et le commandement intérieur par le cœur : la justice et l’amour. Comment comprendre les difficultés du management au regard de la tension nécessaire, dans l’exercice du pouvoir, entre ces deux logiques ? Les critiques à l’égard des dérives de la bureaucratie et du management peuvent être lues comme le glissement de l’articulation entre justice et amour. Les organisations religieuses, comme celles de l’Ordre Dominicain, partagent avec les autres organisations des enjeux de coordination de l’action. Tout en évoluant, l’autorité formelle, les règles ou « Constitutions », y demeurent essentiels et assumés, tout autant que l’attention aux personnes. L’objectif de cet article est décrire cet exercice de l’autorité, l’articulation entre justice et amour et d’interroger sa spécificité par rapport aux théories et pratiques du management qui limité les contraintes explicites au profit d’une contrainte par l’adhésion à l’organisation et à ses défis. La théorie enracinée a été utilisée pour analyser des entretiens avec des Dominicains, leur règle de fonctionnement et des textes qu’ils ont produits. Il en résulte que le management des Dominicains articule la justice et l’amour, au service de la finalité de prédication. Des limites sont prévues dans les constitutions elles-mêmes quant à l’exercice de la justice. Ainsi, les constitutions peuvent évoluer. Des limites apparaissent aussi quant à l’espace laissé à l’amour comme l’exigence d’un tiers dans la prise de décision sous la forme d’une consultation. La règle elle-même organise le débat entre l’amour et la justice en laissant de l’autonomie à chaque échelon, en prévoyant des espaces de discussion, des votes et des élections avec une limite à deux mandats. Les dispositifs de management articulent justice et amour. Peu se rattachent uniquement à l’amour ou uniquement à la justice. L’amour limite et complète la justice et donc l’accomplit. Chez les Dominicains, chaque être humain est considéré comme une personne valorisée. La justice limite l’amour. L’attention à l’autre est limitée par la prudence, la distance qui permet d’éviter l’injustice en faveur de l’un par rapport à un autre. Les Dominicains ont un modèle de management articulant justice et amour. Leur modèle montre qu’il est possible de dépasser les approches critiques du management. Alors que le management moderne se montre centré sur l’amour et cache le dispositif de justice, chez les Dominicains la règle est première et permet une ouverture vers l’amour.