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Laroche Hervé

Auteur

Hervé LAROCHE

Résumé

Le champ de la stratégie connaît depuis quelques années (disons le début des années 1990) un changement profond. La nature en est désormais bien connue : il s’agit de la contestation du paradigme jusque là dominant, c’est-à-dire l’analyse concurrentielle, issue de l’économie industrielle, telle qu’elle a été codifiée par M. Porter. Les candidats à la succession sont encore assez nombreux, parmi les courants issus de la théorie néo-institutionnaliste, de l’écologie des populations organisationnelles, de la micro-économie évolutionniste, de l’école autrichienne de l’entrepreneur, de la théorie des conventions, ou encore de la théorie des ressources. Cette dernière apparaît sans doute aujourd’hui comme la plus susceptible de s’imposer, par sa capacité à intégrer les apports des autres courants, d’une part, et par sa convergence avec des propositions plus directement opérationnelles et recevables par les praticiens (Kay, 1993 ; D’Aveni, 1994 ; Hamel & Prahalad, 1994).

Cette évolution a incontestablement un caractère durable et ne saurait être réduite à un effet de mode. Elle constitue sans aucun doute une revitalisation de la discipline. Si on peut estimer que certains excès sont parfois commis dans le rejet de l’analyse concurrentielle, et que cela conduit à passer d’un déséquilibre à un autre dans l’approche stratégique des problèmes des entreprises, on peut aussi penser qu’il s’agit là d’un jeu somme toute normal de l’évolution d’une discipline scientifique, et que ces effets de balancier n’ont pas d’importance significative à moyen terme.

Cependant, l’analyse concurrentielle, bien que dominante, ne représentait pas la totalité du champ de la stratégie. On peut alors regarder cette montée des nouvelles approches sous un angle différent, en se demandant si elle concerne exclusivement le sous-champ occupé par l’analyse concurrentielle ou si elle est susceptible d’avoir un impact plus large. Comme l’a fort bien montré R. Déry dans son analyse des 599 articles publiés dans le Strategic Management Journal depuis sa fondation en 1980 jusqu’à 1993 (Déry, 1996), le champ de la stratégie est assez nettement divisé en deux sous-champs, qui forment des systèmes de références distincts, et qui sont appuyés sur des “disciplines de base” différentes :

- d’une part, le sous-champ du “contenu” de la stratégie, fortement structuré, qui est clairement dominant en quantité, et qui procède essentiellement de l’économie,

- d’autre part le sous-champ du “processus” stratégique, plus éclaté, minoritaire, davantage inspiré par la sociologie, la science politique, la psychologie, ou l’anthropologie.

La question que l’on voudrait poser est la suivante : les évolutions récentes de la stratégie, qui ont amené à la substitution, comme paradigme dominant, de l’approche centrée sur les ressources à l’analyse concurrentielle “portérienne”, remettent-elles en question ce clivage entre “contenu” et “processus” ? dans quelle mesure ? et sur quels points spécifiquement?