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Penan Hervé

Auteur

Hervé PENAN

 

Résumé

1. La nature des activités de recherche et développement

Les activités de recherche et développement s’organisent en réseau. Les exemples de coopération abondent, mettant en relation les entreprises innovantes, les laboratoires publics, les institutions communautaires, et les usagers pour atteindre des objectifs technologiques et économiques, révisables dans le temps. Prendre une décision stratégique, c’est choisir qui appartient au réseau, qui en est exclu, c'est décider des compétences qui seront élaborées et des biens ou services qui seront produits. Une stratégie de recherche et développement induit des décisions de partages de responsabilités, de risques et de profits, chacun des acteurs d'un réseau ne maîtrisant qu'une partie des facteurs clés de réussite d'un projet d'innovation. La question des modalités de collaboration d’acteurs hétérogènes aux objectifs différents devient centrale.

S’il est possible, en suivant la théorie des contrats et la théorie des coûts de transaction, de concevoir ex-ante un systéme de régles optimal en matière de coopération de recherche et développement, il est également possible de considérer que les règles fixées dans un contrat initial sont provisoires et imparfaites du fait des caractéristiques des activités de recherche et développement déjà évoquées. Le contrat est alors conçu pour être débordé, pour permettre l'apprentissage de la coopération par la production d'une interprétation commune des règles lors de la réalisation des prestations. En matière de stratégie de recherche et développement, il apparaît donc nécessaire d’enrichir l'analyse de la théorie des contrats dans le sens d'une prise en compte de l'ensemble des modes de coordination que peuvent mobiliser les acteurs en réseau.

 

2. La dynamique des réseaux d’innovation

Les activités de recherche et développement se déploient pour l’essentiel en réseau. Deux configurations extrêmes prennent place : les réseaux en émergence dans lesquels les entreprises innovantes s’efforcent de construire des relations d'intéressement au sens de la sociologie de la traduction et les réseaux en voie de stabilisation qui soulignent le mécanisme de sédimentation des compétences et l’apparition des comportements concurrentiels repérable par l’analyse stratégique classique.

Dans un réseau en émergence, les énoncés scientifiques, les dispositifs techniques, les compétences incorporées n'existent qu'en un seul exemplaire, dans une entreprise ou un laboratoire, et les premiéres réplications du projet de recherche et développement impliquent une duplication de la totalité de ces éléments. Pour que le projet se consolide, il faut tout un travail d'intéressement pour faire valoir auprès d'acteurs qui n'en ont cure, la valeur d'usage des énoncés, des dispositifs techniques élaborés, la nécessité des contraintes organisationnelles induites, l’intérêt des marchés envisagés.

Dans un réseau stabilisé, les mêmes actifs, les mêmes instruments et compétences incorporées sont disponibles dans différentes entreprises. Pour aboutir à l’existence de projets concurrents, il a fallu de patients et coûteux investissements qui ont conduit à établir un réseau stabilisé d'acteurs et de compétences. Le degré d’avancement d’une stratégie d’innovation ne dépend que de la longueur et de la robustesse des réseaux, c'est-à-dire du succès des stratégies d'intéressement et de traduction déployées par les acteurs eux-mêmes. Ce que l’on désigne de manière usuelle comme innovation n’existe que dans des réseaux stabilisés.

 

3. Le comportement stratégique

Une stratégie de recherche et développement est le moteur d'une dynamique spécifique, celle de l'établissement, de l'extension et de la stabilisation d’un réseau d’innovation. Cette caractéristique est à la base du redéploiement de la fonction recherche et développement dont la mission dépasse largement celle qui lui était traditionnellement réservée, à savoir l'élaboration de nouvelles solutions technologiques pour les marchés de l’entreprise. Dans une acception très large, une stratégie de recherche et développement scelle un ensemble de décisions relatives au choix et à l'articulation des ressources humaines et technologiques de l’entreprise en vue de définir des comportements de maintien, d'investissement ou de désengagement dans un réseau d’innovation. L’analyse stratégique doît alors produire des méthodes et des outils permettant de caractériser les compétences-clé des entreprises innovantes et d’autre part, rendre compte de leur logique de gestion des projets de recherche et développement.

Une stratégie de recherche et développement est ainsi lié à la vitesse de transformation du réseau c’est-à-dire à la modification de la liste des acteurs, de leurs projets et de leurs compétences. Lorsque la vitesse est faible, le réseau est stabilisé et les entreprises ont intérêt au mimétisme stratégique, qu'elles perdent ou qu'elles gagnent, elles sont assurés dans le pire des cas de partager le sort de leurs concurrents. Lorsque le réseau est en reconfiguration rapide, une entreprise donnée, quelle que soit son aversion au risque, n'a aucune raison particuliére de s'engager dans les mêmes investissements qu’une autre puisqu'elle ne dispose d'aucune garantie sur la viabilité des projets de recherche et développement en construction.