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Dumoulin Régis, Lecocq Xavier

Auteur

Régis DUMOULIN

Xavier LECOCQ

 

Résumé

L'objectif de cette contribution est de montrer les limites de la perspective utilisée par les chercheurs en management pour étudier les réseaux interorga-nisationnels et d’en proposer une plus large. Cette approche comporte en effet des biais inhérents à ses postulats et s'avère peu pertinente pour la compréhension et l'analyse stratégique des réseaux d'entreprises. Nous proposons le recours à la méthode structurale pour articuler les différents niveaux d'analyse et saisir la dynamique des réseaux interorganisationnels.

En management, le terme "réseau stratégique" désigne une forme d'organisation, un objet d'étude qui éclaire sur la nature même des organisations et sur leur évolution. Mais si la majorité des chercheurs en gestion se penchant sur le sujet utilisent depuis plus de dix ans ce terme proposé par Jarillo en 1988, ils ne se sont pas interrogés sur les implications de ce qui est autant une perspective d'analyse qu'un objet d'étude. Cette considération est peut-être à l'origine du manque de réflexion sur la perspective d'analyse et plus encore, des biais et des confusions repris dans l'ensemble de la littérature depuis une dizaine d'années. On peut dès lors s'interroger sur la cause de ces biais persistants et au-delà, sur la difficulté à constituer un corpus théorique pour l'analyse et la compréhension des réseaux d'entreprises.

Notre objectif, au travers de cet article, est de prôner un déplacement du paradigme en vigueur dans l’étude des réseaux d’entreprises vers une vision moins restrictive permettant de saisir des logiques que le cadre théorique du réseau stratégique limite à une dimension économique. Il est également de proposer un changement de perspective et de montrer l'intérêt d'une démarche plus compréhensive, intégrant les dimensions politiques et sociales de la coopération.

La première partie de ce texte montre que le réseau stratégique est un paradigme dont les postulats, issus de la théorie des coûts de transaction, entraînent deux limites. La première a trait à la structure envisagée, aux hypothèses comportementales restrictives et aux raccourcis qu’elles autorisent en matière d’analyse du management interorganisationnel. La seconde est reliée à la représentation même du réseau stratégique et aux biais que cela introduit dans son étude.

Face à ces biais, la seconde partie propose un changement de paradigme pour l’étude des réseaux.

La compréhension des réseaux ne peut se faire que par l’étude des processus prescrits et émergents, économiques et socio-politiques. L’analyse est encore plus pertinente si l’on peut saisir différents niveaux d’analyse et les articuler sans rupture.

Le recours à l’analyse structurale couplée à une démarche quasi-ethnographique en tant que méthodologie appliquée aux sciences de gestion autorise l’intégration des niveaux micro, méso et macrostructurels en tenant compte des phénomènes émergents et de la nature des relations qui se tissent entre les acteurs.

Une étude empirique compare les deux cadres d’analyse. Le terrain est un réseau logistique maritime d’une grande marque automobile française. Il s’agit de l’une des premières chaînes européennes de transport de voitures neuves, avec plus de 200 000 véhicules traités par an.

Les résultats constatent le caractère restrictif de l’approche par le réseau stratégique, essentiellement à cause de la structure centre-périphérie considérée et du type de relations. Seules les relations économiques formelles peuvent être prises en compte.

Or, le réseau interorganisationnel est en réalité la superposition de plusieurs réseaux, d’échange écono-mique, d’échange d’informations, tant prescrits qu’émer-gents. L’analyse du même terrain par la méthode structurale appliquée à tous ces types de relations permet d’identifier plusieurs pivots issus de l’interaction des acteurs.

Notre objectif est de proposer de changer de paradigme pour comprendre les réalités interorganisationnelles. Il n’est pas d’opposer le réseau stratégique au réseau social. Nous pensons simplement que, plutôt que de caractériser les réseaux par rapport au marché, à la structure hybride ou à la hiérarchie, la recherche doit s'attacher à comprendre la dynamique des formes interorganisationnelles. Les biais induits par l'utilisation de la perspective du réseau stratégique sont autant de limites à son utilisation pour une compréhension de la dynamique générale des réseaux qui dépasse les schémas simplistes habituellement considérés. La décomposition du réseau en trois "sous-réseaux" permet ainsi d'appréhender les aspects économiques, politiques et sociaux et d'étudier leur interaction sur la construction et le développement réticulaire.