AIMS

Index des auteurs > Courrent Jean-marie

Courrent Jean-marie, Mercier Samuel

Auteur

Jean-Marie COURRENT

Samuel MERCIER

 

Résumé

L’intérêt affiché, en France, depuis essentiellement le milieu des années 80, pour la dimension éthique des décisions de gestion en général, et des décisions stratégiques en particulier, ne semble pas faiblir.

Dans ce contexte, la réflexion se poursuit sur les moyens d’évaluer et de développer l’éthique des organisations.

Face aux nouvelles méthodes d’évaluation, –voire de mesure–, du bien-agir en entreprise (rating éthique de l’AreSE, certification SA8000 ou AA1000), il semble pertinent, tant du point de vue pragmatique, que méthodologique et théorique, de s’interroger sur l’efficacité des méthodes d’action éthique et, plus particulièrement, sur le rôle de la formalisation. Est-elle une réponse satisfaisante pour les gestionnaires en attente « d’outils éthiques » ? Peut-on réellement apporter par la formalisation, des solutions aux problèmes moraux en entreprise ? Ce type de méthodes et l’utilisation qui en est faite placent-ils réellement la décision dans le champ de la morale ?

Ces interrogations semblent d’autant plus pertinentes que, suivant l’exemple de la quasi-totalité des entreprises américaines (voir Berenbeim, 1992 ; Stevens, 1994 ; Weaver et al., 1999), les organisations françaises se sont lancées en nombre à partir de la fin des années quatrevingts dans des démarches de formalisation de leur éthique.

L’analyse critique de la formalisation proposée dans cette communication conduira à préciser le sens des concepts de morale et d’éthique en gestion.. On peut néanmoins, en préambule, définir l’éthique comme la conception du Bien et du Mal qui s’impose à la conscience de l’individu et oriente la conduite de ses actions ainsi que les jugements qu’il porte sur les actions d’autrui. L’éthique de gestion (ou des affaires) en est l’application à la sphère professionnelle en entreprise. Force est d’ailleurs de constater, à la suite par exemple de P. Kletz (1998), qu’audelà d’une telle définition très générale, l’incapacité à élaborer une véritable réflexion sur le Bien dans le cadre de l’entreprise empêche l’émergence d’une conception consensuelle de l’éthique en management.

Dans la mesure où elle concerne l’ensemble des actions humaines (Wunenburger, 1993), quelle que soit leur nature, elle peut être analysée tant au niveau opérationnel que stratégique. Son rôle a ainsi été souligné largement dans les travaux portant sur la politique générale des organisations (Freeman et Gilbert, 1988 ; Gilbert, 1992 ; etc.). Rappelons, par exemple, l’affinement du modèle LCAG par Andrews (1971), qui intègrera explicitement la nécessité de clarifier les valeurs des dirigeants de l’entreprise, ainsi que les valeurs de l’environnement et la responsabilité sociale de la firme.

Cette communication, qui se focalise sur l'introduction de la formalisation comme outil d'intégration de la dimension éthique dans les décisions de gestion, n’aborde donc pas explicitement l’impact que peuvent avoir en la matière d’autres éléments tels que les systèmes organisationnels (politiques de rémunération, de promotion et d'évaluation des performances), ou les pratiques et normes informelles (éléments de la culture voire des souscultures organisationnelles, exemplarité des supérieurs hiérarchiques). Les travaux de Sims (1992) semblent ainsi indiquer la présence d'un lien direct entre le comportement éthique en organisation et la culture d'entreprise. De même, l'étude de Posner et Schmidt (1984) met en évidence l'influence de l'exemplarité des supérieurs hiérarchiques et des collègues sur les comportements des individus au travail.

L’analyse de la formalisation développée ici s’appuie, non seulement sur une étude de la littérature abondante relative à la question éthique en gestion, mais également sur les enseignements tirés de trois enquêtes de terrain menées en France.

La première enquête, qui porte sur une cinquantaine de grandes entreprises ayant eu recours à la formalisation (Mercier, 1997), nourrit la réflexion sur le sens de ces démarches et la présentation comparée des différents types de documents qui ont pu être élaborés (première partie).

Les deux autres ont été réalisées dans des petites organisations pour lesquelles il n’y a pas eu, à de rarissimes exceptions près, de formalisation (Courrent, 1998) ; elles ont ainsi permis une observation directe des attitudes éthiques des acteurs, confrontés à des problèmes concrets de gestion sans pouvoir recourir à l’aide de documents préétablis. De cette observation, qui permet d’affiner l’étude de l’état de l’art, est proposée une réflexion sur la nature et les fondements de l’éthique adaptée au cadre de l’entreprise, réflexion qui conduit à s’interroger sur les relations entre la formalisation de règles ou de principes d’action et la moralité des actes (seconde partie).