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Boivin Caroline

Auteur

Caroline BOIVIN

 

Résumé

Certaines entreprises partagent délibérément leur technologie avec d’autres firmes en coopérant en recherche et développement (R-D), en accordant des licences, ou tout simplement en communiquant de manière informelle. Par exemple, Kodak a développé les spécifications d’un nouveau procédé photographique, le Advanced Photo System, en collaboration avec ses principaux concurrents. Le consortium a par la suite accordé des licences à la plupart des joueurs de l’industrie de la photographie. Par ailleurs, le succès de la technologie VHS face à la technologie Betamax sur le marché de la vidéo ne semble pas étranger à la décision des détenteurs de brevets VHS d’accorder des licences.

Ce genre de comportement remet en cause l'hypothèse d'une association positive entre l’exclusivité d'une technologie et les bénéfices retirés des efforts de R-D qui est courante dans les écrits sur la R-D (voir par exemple Schumpeter, 1954; Arrow, 1962; Nelson, 1959). Au plan de la gestion de la technologie, cette hypothèse implique qu'une firme innovatrice devrait opter pour l’exclusivité dès quelle est en mesure de le faire et seulement partager la technologie si elle ne peut empêcher l'imitation. Ceci expliquerait pourquoi plusieurs firmes hésitent à partager leur technologie et pourquoi autant d'efforts sont déployés pour mettre en place des mécanismes, comme les brevets, destinés à protéger les innovations contre l'imitation. Cependant, supposer que l’exclusivité est plus rentable ne tient compte que des conséquences négatives d'une concurrence accrue alors que des bénéfices au partage de la technologie sont écartés. Nous soutenons qu'en incluant ces avantages dans l'analyse, le partage peut dans certains cas s'avérer une stratégie dominante.

Dans cette communication, nous développons un cadre d'analyse pour évaluer l'impact du partage de la technologie sur les profits. Nous nous concentrons d'abord sur les revenus et soutenons que la variation de revenus suite au partage de la technologie est le résultat de deux effets contradictoires: l'effet taille de marché qui est positif et l’effet part de marché qui est négatif.

L’effet taille de marché dépend de la variation de la demande suite à une hausse du nombre de concurrents sur le marché. En supposant que le partage de la technologie n'affecte que les revenus, le marché doit nécessairement prendre de l’expansion pour que les profits de chacune des firmes augmentent. Une augmentation du nombre de firmes peut stimuler la demande en raison de la présence d'externalités de réseau, en réduisant l'incertitude quant à la valeur du produit, en élargissant la variété de produits et en permettant à chacune des firmes de profiter d’externalités technologiques et publicitaires. La demande peut aussi réagir positivement au partage de la technologie si la menace d'opportunisme d'un fournisseur unique est éliminée ainsi que grâce aux externalités commerciales.

L’effet part de marché est négatif étant donné l'érosion de la part de marché et du pouvoir de marché d'une firme qui partage à la fois sa technologie et le marché avec des concurrents. L'amplitude de l’effet part de marché est déterminée par l'intensité de la concurrence à laquelle l'entreprise fait face suite au partage de la technologie. Lorsque des entreprises partagent une technologie, l'intensité de la concurrence dépend du degré de substitution entre les produits, de leur qualité relative et de la force relative des actifs de commercialisation. Enfin, l’effet part de marché dépend du changement dans l'intensité de la concurrence.

Par ailleurs, comme le partage de la technologie pourrait aussi mener à un changement dans les coûts, nous intégrons de telles considérations à l'analyse en évaluant l'impact potentiel du partage de la technologie sur différents types de coûts.

Notre objectif est de déterminer sous quelles conditions le partage de la technologie est optimal. Cette communication devrait ainsi contribuer à remettre en cause le mythe selon lequel l’exclusivité constitue la seule voie à suivre. En plus de son apport théorique, les conclusions de cette communication devraient s’avérer très utiles pour les gestionnaires dans l’élaboration et la mise en oeuvre de leur stratégie technologique. Le cadre d’analyse proposé est particulièrement pertinent pour guider les décisions des dirigeants d’entreprises oeuvrant dans les secteurs de haute technologie.