Auteurs
Valérie de La Ville
Eléonore Mounoud
Résumé
A partir d’une réflexion sur le thème récurrent du discours dans le champ de la recherche en management stratégique, cet article construit un cadre conceptuel pour l’étude de la formation des stratégies qui se propose d’intégrer et de dépasser la question du discours. Nous proposons d’abord une réflexion sur la pertinence et les limites d’une recherche consacrée aux discours stratégiques. Nous notons dans la production anglo-saxonne le développement d’une perspective « micro » sur la stratégie, celle-ci se développe autour de différents labels (microstrategy, strategizing, strategy as practice, activity based strategy, strategy as simple rules) et cherche en particulier à définir une (ou des) pratique/s stratégique/s en capitalisant sur les concepts des sciences sociales tels que la pratique ou l’activité (Whittington 1996). Nous sommes alors amené à distinguer avec Michel de Certeau deux registres, celui du discours qui
instaure un ordre et fabrique une histoire et celui de la narration, qui mobilise les capacités de résistance et d’improvisation pour faire des histoires. Nous proposons un cadre conceptuel qui traduit les «arts de faire » (selon la formule de Michel de Certeau) de la stratégie et articule discours, pratique et outils, intitulé en forme de clin d’oeil « texts, talks & tools ».
Auteurs
Jean-Louis Denis
Ann Langley
Linda Rouleau
Résumé
Ce texte a pour but de développer une meilleure compréhension des processus de développement de la stratégie (« strategizing ») dans les organisations caractérisées par des objectifs multiples, des lieux de pouvoir diffus et des processus de travail reposant sur des connaissances spécifiques (ce que nous appelons organisations pluralistes). Les hôpitaux, les entreprises artistiques, les universités, les organisations communautaires, les partenariats professionnels et coopératifs sont typiques de tels contextes (Løwendahl & Revang, 1998). De telles organisations défient les conceptions traditionnelles de la prise de décision stratégique. Comme Cohen et March (1986: 195) l’ont noté dans leur discussion des dilemmes sous-jacents au rôle de président dans les universités : “When purpose is ambiguous, ordinary theories of decision making and intelligence become problematic. When power is ambiguous, ordinary theories of social order and control become problematic”. Le point de départ de ce papier repose sur cette observation. Ce texte explore l’utilité de lier trois différents cadres théoriques pour comprendre et influencer les processus de formation de la stratégie dans les organisations pluralistes. La première perspective s’appuie sur la théorie de l’acteur-réseau et considère la formation des stratégies comme un processus de « traduction ». Les stratégies se forment à partir du moment où les acteurs clés (les « traducteurs ») arrivent à mobiliser les participants dans le but de supporter une orientation en même temps qu’ils travaillent à la redéfinition de cette orientation en des termes qui leur permettront de maintenir leur réseau de support. La deuxième perspective considère la formation des stratégies comme un processus d’ « accommodation » et repose sur la théorie des conventions qui permet d’examiner comment des valeurs différentes peuvent être réconciliées ou juxtaposées pour assurer la viabilité des stratégies mises en place. La troisième perspective conçoit la stratégie comme une « pratique sociale » et met l’accent sur les manières dont les individus participent à la formation des stratégies à travers leurs activités quotidiennes, leurs routines et leurs interactions. Le texte compare les trois perspectives et identifie les points communs, les complémentarités et les implications pour les stratèges qui agissent dans des organisations pluralistes. Nous commençons le texte en revoyant brièvement la littérature autour de la formation des stratégies dans les organisations pluralistes. Puis, nous présentons les trois cadres conceptuels retenus en explorant leurs implications. Finalement, nous comparons ces perspectives pouridentifier les points communs, les complémentarités et les implications concrètes pour l’action dans ce type d’organisations.
Auteurs
Benoit Journé
Nathalie Raulet-Croset
Résumé
La notion de «situation » rencontre un écho croissant dans le champ du management. Nous faisons l’hypothèse que cela tient à la fois à une évolution des réalités organisationnelles et à l’évolution conjointe des regards portés par les chercheurs en gestion sur leurs objets de recherche (Girin 1990 ; Zarifian 1995).
L’un des courants récent d’analyse des organisations considère l’organisation comme un phénomène en construction (Weick 1979). Cette perspective place les acteurs et leurs subjectivités au centre de la dynamique organisationnelle (l’ « organizing »). Une telle approche s’intéresse particulièrement aux organisations à la recherche de réactivité, de flexibilité et de vigilance, qui développent des modes de fonctionnement originaux qui prennent en compte les aspects flous, ambigus et évolutifs de leurs environnements et de leur dynamique interne (Weick 1995). La question centrale réside alors dans la construction du sens des situations dans lesquelles les acteurs sont engagés. Dans la continuité de cette approche, nous proposons ici de mobiliser la notion de situation en tant qu’échelon d’analyse intermédiaire, qui fait le lien entre la perspective individuelle et le construit organisationnel.
C’est le cas par exemple quand des agents économiques doivent coopérer pour régler un problème de pollution d’une nappe phréatique, alors même que la nature du problème n’est pas clairement stabilisée et que les acteurs concernés ne sont pas tous identifiés. C’est également le cas d’organisations contraintes à trouver dans l’urgence des solutions à des problèmes nouveaux et inattendus, que l’on rencontre en particulier dans les industries à risque (transport aérien, chimie, nucléaire…).
L’un des objectifs de ce texte est de poursuivre l’effort entrepris depuis les année 90 par certains chercheurs (Girin 1990 ; Zarifian 1995) pour affirmer la fécondité de la notion de situation dans les sciences de l’organisation. Nous proposons ici de revenir aux origines du concept de situation, pour mieux dégager ensuite les problèmes de gestion qu’elle permet de comprendre. Deux exemples concrets tirés d’études de cas nous permettront d’interroger empiriquement la notion de situation. L’un porte sur la protection d’une nappe phréatique face à un risque de pollution ; l’autre, sur la conduite d’une salle de commande de centrale nucléaire ayant pour objectif de prévenir tout type d’incident. Dans les deux cas, le concept de situation s’impose ; c’est lui qui permet de comprendre un problème central de gestion : comment s’organise la maîtrise de phénomènes dont l’essence et les frontières sont mal définies (quelle est la nature du problème ? quels sont les acteurs concernés ?), et qui doivent être gérés sous contraintes spécifiques de temps (urgence et réactivité) et de connaissance (rationalité limitée, découverte progressive du phénomène à l’occasion du processus d’enquête) ?
Auteurs
Michel FERRARY
Pascal VIDAL
Résumé
La capacité de Linux à concurrencer Windows ne s’explique pas uniquement par la qualité de ce logiciel mais également par le mode original d’organisation du travail de développement du logiciel et par la philosophie du mouvement pour le développement du logiciel libre (Free Software Foundation). Derrière la concurrence entre les deux systèmes d’exploitation se cachent deux logiques différentes de développement des logiciels.
L’exemple de la communauté Linux montre que le réseau informatique est une condition nécessaire mais non suffisante à l’existence de communautés de pratiques. Pour que collaborent des individus dont a priori les intérêts convergent, il est nécessaire qu’ils se constituent en une communauté avec une culture et des pratiques communes. En ce sens, Linux constitue une communauté de pratiques.
Mais de façon plus générale il s’agit également d’une communauté « sociale » avec ses règles, ses valeurs, ses symboles et ses leaders. Les principes de développement permanent, de décentralisation dans un système ouvert et de transparence qui structurent le fonctionnement de cette communauté, ne fonctionneraient pas, sans le principe quasi philosophique de l’open source et une identité communautaire très forte.
Si la communauté Linux montre qu’une communauté virtuelle d’individus électroniquement reliés ne peut exister sans une dimension sociale forte, elle montre aussi que cette relation sociale se
construit à travers les liens électroniques car les systèmes d’information ne sont pas uniquement un vecteur de circulation d’informations économiques et industrielles mais également un vecteur d’apprentissage social et d’engagements émotionnels permettant l’émergence d’une communauté virtuelle sous-tendant l’efficacité productrice de l’entreprise. Dans l’interaction sociale, il faut considérer le lien électronique comme un lien de “ communalisation ”. Le lien électronique constitue le nécessaire lien faible du processus d’apprentissage social qui permet la construction et la pérennisation de liens sociaux forts dans la réalité virtuelle et/ou la réalité physique et favorise l’émergence d’une communauté.
Auteurs
Emmanuel JOSSERAND
Bertrand de SAINT LEGER
Résumé
Nous analysons les difficultés liées à une tentative de "mise en oeuvre" de communautés de pratique au sein d'une organisation hiérarchique. Nous nous intéressons plus particulièrement aux enjeux de pouvoir susceptibles de remettre en cause les communautés de pratique comme espaces d'apprentissage interstitiel. La recherche repose sur l'étude de quatre communautés de pratique au sein d'une même entreprise. L'étude est réalisée au moyen d'entretiens semi-directifs. Les résultats montrent les difficultés rencontrées, en particulier en raison du système de management de l'entreprise et de l'enjeu de pouvoir que représentent les communautés de pratique. Sur les quatre cas étudiés, un seul parvient à conserver la caractéristique fondamentale de l'auto-organisation.
Dans deux autres cas, le fonctionnement devient hiérarchique et la communauté de pratique se transforme en groupe de travail. Le quatrième cas évolue vers une situation intermédiaire. De manière plus large, c'est la capacité d'une organisation hiérarchique à stimuler sans l'étouffer une forme originellement clandestine qui peut être mise en cause.
Auteur
Francis GUERIN
Résumé
Le concept de communauté, très utilisé en sociologie depuis les origines de la discipline et en sciences de gestion depuis les années 1990, y est néanmoins abondamment décrié en raison de sa polysémie et de son flou sémantique. Dans le champ des sciences de gestion, il est en particulier représenté par les concepts de communauté de pratique ou de communauté virtuelle qui, ayant trait à l’apprentissage collectif, intéresse plus spécifiquement le management stratégique.
Le propos de l’article n’est pas de dénoncer une fois de plus cette polysémie dont nous constaterons cependant l’abondance, mais il est au contraire de mettre en évidence, à travers un parallèle entre les deux disciplines, le caractère inévitable et même profondément sain de ces caractéristiques du concept, lesquelles relèvent davantage de l’idiosyncrasie des sciences sociales que d’une faiblesse constitutive du concept lui-même.
En effet, les sciences de gestion comme la sociologie sont comme l’ensemble des sciences socialesdes « disciplines historiques » tant du fait qu’elles ont leur propre histoire qu’en raison du caractère par nature évolutif de leurs objets : la polysémie est donc d’autant plus forte que l’objet est étudié sur des périodes différentes et que la discipline s’en est emparé depuis longtemps pour le conceptualiser. De plus, elle indique davantage le fort intérêt de la communauté scientifique d’une discipline (qui engendre des phénomènes d’appropriation tant par des producteurs de concepts que par leurs utilisateurs) qu’une incapacité à fixer définitivement un sens unique : elle sera donc, pour ce qui concerne la « communauté » en particulier, un indicateur de l’intérêt et des controverses que ce concept soulève dans les disciplines où il est présent.
Autrement dit, plutôt que de remettre en cause la « communauté » en tant que concept, l’article
cherche à cerner en quoi elle constitue un révélateur possible de la nature et de la portée des
concepts que peuvent espérer forger les sciences sociales : la polysémie des concepts, plutôt qu’une
pathologie ou une exception dommageable nous paraît dès lors y constituer la norme et la normalité
de ces disciplines, ce qui suppose d’une part de renoncer définitivement à une nomenclature
rigoureuse et ordonnée de leurs production conceptuelle et d’autre part d’accorder une attention
particulière à l’histoire de cette production afin de pouvoir situer sa propre conceptualisation par
rapport à celles qui l’ont précédée.
Auteurs
Frank LASCH
Frédéric LE ROY
Saïd YAMI
Résumé
Malgré le nombre des recherches sur les entreprises innovantes, les travaux antérieurs ont rarement eu pour objectif d’expliquer les facteurs déterminants de la création d’entreprise TIC. Des analyses empiriques avec un échantillon significatif font quasiment défaut pour ce secteur stratégique.
L’objectif de cette recherche est de mettre en évidence les déterminants de la création d’entreprises TIC, en nous centrant sur un déterminant particulier : l’environnement socio-économique.
L’analyse de la totalité des entreprises créées entre 1993 et 2001 en France métropolitaine (84.535) constitue une base empirique qui va bien au-delà de celle des études précédentes. De plus, l’utilisation d’un zonage plus fin (la zone d’emploi), mieux adapté pour étudier le contexte économique dans lequel le créateur implante son entreprise, a permis d’augmenter la fiabilité, la validité des résultats, ce qui explique un modèle de régression multiple extrêmement solide. Les résultats montrent que les déterminants clés de la création d’entreprise TIC sont l’infrastructure en R&D, la présence d’entreprises de même type, la présence de grandes entreprises et l’augmentation de la demande. En effet, l’un des principaux apports de l’étude porte sur la visibilité, la compréhension et la perception d’un secteur TIC, secteur qui jusqu’ici, dans le domaine de l’entrepreneuriat, fait rarement l’objet d’une analyse empirique intégrant l’environnement local en tant que variable déterminante. Les résultats de l’étude montrent clairement qu’un lien direct peut être établi entre l’environnement socio-économique et la création d’entreprises basées sur les technologies de l’information et de la communication. Des pistes de recherche futures sont envisagées à l’issue de ce premier travail.
Auteurs
Katharine GUNDOLF
Annabelle JAOUEN
Résumé
A partir de l'observation de trois cas de pratiques collectives dans un village touristique, les auteurs identifient cinq critères permettant de déterminer la forme des pratiques collectives mettant en relation des très petites entreprises (TPE) : les liens entre les participants, l'intensité de l'engagement, les raisons de la participation, l'interdépendance des ressources et l'initiative de la démarche. Les pratiques collectives étudiées dans cette étude prennent la forme d'une "Carte d'Hôtes", d'un "Produit tout compris" et de l'offre "Sentiers Verts". La "Carte d'Hôtes", initiée par l'Office du Tourisme local, est offerte aux personnes justifiant d'un séjour de plus de quatre jours dans le village et donne droit à un ensemble de remises et de gratuités dans une vingtaine d'entreprises partenaires. Le "Produit tout compris" résulte d'un accord entre hôtels, magasins de location de matériel et remontées mécaniques, afin d'offrir à prix réduit un package de services.
Enfin, L'offre "Sentiers Verts" est basée sur la conception d'un circuit touristique pour randonneurs.
Initié par la Chambre de Commerce et d'Industrie, ce projet vise à proposer des tarifs préférentiels dans les hôtels situés sur le circuit et un acheminement des bagages d'un hôtel à l'autre.
Au vu de ces différentes actions, il apparaît que selon qui est à l'origine de la pratique (les TPE ou une institution), les modes de coordination présentent des dimensions différentes. D'un côté, dans les pratiques qualifiées de proactives (c'est à dire à l'initiative d'un collectif de TPE), le mode de coordination exclusif est la confiance. La formalisation est parfois même refusée par crainte de rupture de la confiance réciproque. De l'autre côté, lorsque c'est une institution qui est à l'origine de la pratique collective, la pratique est qualifiée de réactive. Les liens sont alors indirects entre les firmes, et passent par l'institution, qui devient alors l'intermédiaire clé et apparaît comme pivot et pilier de la relation.
Auteurs
Marcus J. HURT
Stéphanie HURT
Résumé
1. Comment les approches des différences culturelles peuvent devenir une source d’apprentissage organisationnel ?
2. Pourquoi la localisation de l’apprentissage organisationnel influence la stratégie de l’organisation dans le contexte global où elle opère ?
Les théories organisationnelles du changement donnent rarement des recettes sur les comportements organisationnels à mettre en oeuvre pour qu’une organisation parvienne à ses fins (Mezias, Grynier & Guth, 2001). Les recherches menées par les auteurs de cet article, sur les enseignes de la grande distribution française entre 1995 et 2003 en Pologne, leur ont permis une étude longitudinale du transfert d’un business model et des pratiques managériales vers un pays en mutation. Le secteur de la grande distribution fut totalement absent du contexte sociétal du pays cible étudié, jusqu’à l’avènement des enseignes françaises, cette étude offre donc un regard interne sur les pratiques managériales des entreprises mondiales du commerce de détail et des adaptations que ces pratiques nécessitent dans un contexte local.
Deux cadres d’analyse furent utilisés pour permettre l’interprétation des résultats : la confrontation des paradigmes d’une part (Hurt & Hurt, 2000) et la triple perspective culturelle, d’autre part. Le résultat des analyses permet de conclure à un processus en plusieurs phases : dans la 1ère phase, les multinationales recherchent la convergence de leurs pratiques managériales, dans la 2ième phase, elles acceptent la divergence en réponse à des conditions qu’elles considèrent exceptionnelles, dans la 3ième phase, elles re-affirment leur préférence pour l’homogénéisation, la convergence de leurs pratiques.