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Grimand Amaury

Auteur

Grimand Amaury

Résumé

L’idée selon laquelle la production scientifique, académique et la fiction, notamment la littérature générale, auraient bien plus en commun qu’on ne le suppose habituellement n’est en soi pas particulièrement originale ni nouvelle. En atteste le tournant linguistique qui se fait jour dans les sciences sociales dès la fin des années 1970. Communauté scientifique et communauté littéraire restent malgré tout séparées par des normes sociales et cette croyance qu’il y a une différence fondamentale entre la « fiction » des écrivains et les « faits » révélés par le discours des scientifiques. Qu’est ce que la narration, la métaphore, le détour littéraire ont à nous dire sur la vie des organisations ?
Cet article entend explorer le rôle potentiel de la fiction comme méthode de recherche légitime en sciences de gestion et en théorie des organisations. Nous analysons en premier lieu les relations équivoques entre fiction et sciences sociales, montrant en quoi la frontière entre les deux mérite d’être relativisée (1). Le tournant linguistique en sciences sociales et le courant narratif en stratégie nous servent de point d’appui pour souligner l’omniprésence de la fiction dans la vie organisationnelle. Dans un deuxième temps, nous envisageons la fiction comme susceptible d’enrichir simultanément notre compréhension des phénomènes organisationnels et le champ des méthodes de recherche couramment usitées en gestion (2). L’argumentation développée montre en particulier en quoi la fiction permet une prise en compte plus aiguë des univers sociaux et symboliques dans lesquels se meuvent les acteurs, tout en éclairant la complexité de l’action managériale et les différents niveaux d’interprétation qu’elle engage. Dans un troisième temps, nous soulignons que l’analyse des relations entre fiction et sciences de gestion est un détour utile permettant d’amorcer une réflexion sur le travail et le statut du chercheur (3). Les conventions d’écriture dominant la production académique, et le ton impersonnel qui est leur marque de fabrique, sont en particulier questionnées dans leur capacité à favoriser l’exercice d’une réflexivité de la part du chercheur. La faible résonance des recherches en gestion pour les communautés de praticiens est alors l’opportunité de s’interroger sur le rôle de la fiction comme vecteur possible d’appropriation des connaissances produites en gestion. La conclusion finale met en perspective le rôle de la fiction comme susceptible d’aider à renouveler les critères à l’aune desquels nous éprouvons la pertinence des théories et connaissances élaborées en gestion.
L’argumentation emprunte largement à l’oeuvre du romancier italien Italo Calvino ainsi qu’à ses réflexions sur la littérature développées dans son essai Leçons américaines. Remarquable penseur de la littérature et des rapports entre réel et imaginaire, Calvino offre en effet un regard décalé et d’une grande richesse pour qui veut appréhender les relations équivoques entre fiction et gestion.