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Grimand Amaury

Auteur

Amaury GRIMAND

Résumé

L’usage de la fiction comme matériau empirique potentiel ou stratégie de recherche en gestion a rarement eu bonne presse dans le champ académique. De fait, si l’on concède volontiers à la fiction une capacité à renforcer l’attractivité de la production scientifique, on lui dénie simultanément toute contribution significative à la théorisation (Eisenhardt, 1991). La théorie des organisations reste ainsi marquée par une dichotomie approfondie entre pensée rationnelle et pensée créatrice qui renvoie le récit fictionnel à une dimension purement sensible, émotionnelle. La fiction populaire, notamment celle qui s’incarne dans le champ télévisuel, sert ici de toile de fonds à notre argumentation. En maniant la parodie, en renversant les normes et conventions sociales dominantes, elle paraît apte en effet à développer des réalités alternatives et mettre en débat les pratiques organisationnelles. Cet article entend précisément questionner ce que la fiction peut apporter à notre compréhension des phénomènes organisationnels.
Dans un premier temps, nous revenons sur le statut même de la fiction et sa critique, en montrant ce que l’opposition entre la science, l’hypothèse raisonnable et la fantaisie du récit fictionnel a de factice. Nous invitons alors à une pragmatique de la fiction qui fait de cette dernière un instrument cognitif, un vecteur de construction du sens, une façon pour l’homme de négocier son rapport au monde en en développant des visions alternatives. Nous explorons dans un deuxième temps la relation entre fiction et recherche en gestion en montrant comment celle-ci a été abordée jusqu’alors dans un registre essentiellement pédagogique ou comme façon d’appréhender le rôle du récit dans les dynamiques organisationnelles (1). Nous suggérons alors de donner à la relation fiction-gestion tout son potentiel créatif en faisant de la fiction un matériau empirique potentiel. La culture populaire est dans ce cadre présentée comme un matériau empirique particulièrement riche qui, en maniant la satire et l’ironie, multiplie les regards alternatifs sur la réalité organisationnelle et aide à revisiter certains concepts fondateurs de la théorie des organisations (2). L’argumentation développée s’appuie sur une exploration systématique des scripts de la série américaine Les Simpsons, ce choix ayant été guidé par : a) l’omniprésence des organisations ou institutions comme sujet et contexte de la série, b) la mise à jour des paradoxes, dilemmes, tensions, qui traversent la vie organisationnelle. Nous montrons, en empruntant au théoricien littéraire russe Bahktin que la richesse des Simpsons tient au réalisme grotesque qui l’inspire, perpétuant ainsi la tradition rabelaisienne du Carnaval et procédant d’un subtil mouvement d’inversion des normes. C’est précisément ce jeu autour de la norme, au coeur des dynamiques organisationnelles, que nous interrogeons à travers les épisodes mettant en scène la centrale nucléaire, son propriétaire, Mr Burns et son responsable sécurité, Homer Simpson (3). Ce détour par la culture populaire est l’opportunité de souligner, dans une perspective plus large, les apports de la fiction comme méthode de recherche légitime en gestion (4).