AIMS

Index des auteurs > Hireche Lorea

Hireche Lorea

Les recherches en éthique des affaires se sont beaucoup intéressées à la prise de décision éthique, en privilégiant des approches rationalistes et statiques, voire rigides, où prédominent les règles et les normes. Dans ces recherches, ce qui est éthique est considéré comme allant de soi (telle décision est éthique ou ne l’est pas) et figé dans le temps. Pourtant, il est communément admis que les questions éthiques sont fondamentalement équivoques : une même situation peut être jugée différemment, voire de façon opposée par les différents individus concernés. En outre, on observe également que ce que les individus jugent éthique en situation de travail évolue dans le temps. Ces éléments (l’équivocité, la dynamique temporelle), qui sont des thèmes à présent courants dans le champ du management stratégique et des sciences des organisations, restent néanmoins absents des recherches dans le domaine de l’éthique des affaires. L’objectif de cette communication est de proposer une conceptualisation du jugement éthique – une composant essentielle de la décision éthique – qui intègre ces dimensions négligées et puisse ainsi tenir compte de son caractère temporel et équivoque. Après un rappel critique de la littérature sur la prise de décision éthique, nous proposons une conceptualisation originale du jugement éthique, inspirée de la théorie de l’ordre négocié. A la lueur de ce paradigme, nous proposons que le jugement éthique en contexte organisationnel est le fruit d’un processus de négociation entre les parties prenantes d’une situation donnée, qui peuvent en avoir des évaluations divergentes. Le jugement éthique d’un individu n’est donc pas strictement défini par la conformité à des normes ou des codes, même si des normes et des codes existent. Il se construit dans une dynamique interactionnelle et temporelle complexe qui met en jeu des individus faisant référence à des systèmes éthiques hétérogènes (ces derniers réévaluent leur jugement au fur et à mesure de leurs interactions).Une telle approche de l’éthique, à la lueur de l’Ordre Négocié, offre un cadre d’analyse qui tient compte de façon précise du contexte organisationnel et inter-relationnel concret au sein duquel se situent les problèmes éthiques. Elle permet d’intégrer les dimensions politiques et informelles à l’étude de l’éthique dans la pratique managériale, saisissant ainsi des enjeux jusque là ignorés par les approches classiques en éthique des affaires, alors qu’ils sont par ailleurs largement reconnus dans la littérature en management. Une telle analyse nécessite de s’appuyer sur des méthodologies qualitatives « lourdes », consommatrices en temps, de type ethnographique, alliant observations et entretiens qualitatifs. Ce cadre conceptuel soulève également des limites certaines, quant au relativisme qu’il peut induire notamment. Néanmoins il nous paraît offrir des perspectives prometteuses pour les chercheurs et les enseignants en éthique des affaires, alors que ce domaine nous paraît être arrivé à une impasse, figé par les normes et les codes.