Le présent article entend contribuer au débat actuel sur l’ambidextrie organisationnelle. Deux modèles a priori mutuellement exclusifs proposent une interprétation de la manière dont les organisations arrivent à concilier exploration et exploitation. L’ambidextrie contextuelle est une approche bottom-up qui fait porter aux membres de l’organisation la charge de réaliser cette articulation. L’autre, l’ambidextrie structurelle est une approche top-down qui considère que c’est le top-management qui structure l’organisation de manière à ce qu’exploration et exploitation puissent y cohabiter. En nous appuyant sur une étude de cas menée dans une multinationale du secteur de l’énergie, nous proposons ici un modèle qui intègre ces deux approches. Plus précisément, nous proposons de concevoir la firme comme composée de deux sous-systèmes, l’un orienté vers l’action, l’autre évaluant et réfléchissant sur les améliorations à apporter au système d’activité. Nous argumentons que le premier sous-système est modifié en recourant à l’ambidextrie structurelle, tandis que le second obéit aux mécanismes de l’ambidextrie contextuelle. Nous avançons en outre que l’articulation entre les deux se fait de manière différenciée au niveau de l’exploration et de l’exploitation. En ce qui concerne l’exploration, les deux systèmes sont articulés au niveau du top-management qui prend les décisions d’enacter ou non les propositions faites par le système d’observation dans le système d’activité. Pour l’exploitation, l’articulation se fait au niveau opérationnel, de manière plus diffuse, suivant les connaissances mobilisées et les domaines opérationnels concernés.
L’évolution du contexte concurrentiel confère au processus de conception de nouveaux produits une place centrale dans la performance de la firme. Les activités d’exploration qui vont permettre à l’entreprise de renouveler son positionnement revêtent de ce fait une importance particulière. .Cet article se propose de contribuer à la question de l’organisation de l’exploration à partir de la confrontation de deux recherches-intervention menées indépendamment l’une de l’autre au sein d’entreprises du secteur automobile. Il nous semble en effet que les travaux existants sur la question, à quelques exceptions près, se situent à un niveau de généralité qui ne permet d’appréhender les problèmes de management soulevés par l’exploration. Dans notre volonté de contribuer avec précision au management de l’exploration nous nous centrerons sur un type d’exploration particulier qui vise non à définir des marchés entièrement nouveaux mais à élargir le positionnement de la firme en ciblant les mêmes clients soit avec des offres nouvelles soit avec des innovations architecturales. L’analyse comparée des trajectoires de deux entités dédiées à l’exploration dans ces entreprises nous a permis de proposer un cadre théorique comprenant trois dimensions.
La première définit la situation d’exploration par cinq caractéristiques : (i) les enjeux stratégiques, (ii) l’objet de l’exploration, (iii) la démarche, (iv) les résultats attendus , (v) l’horizon temporel.
La seconde précise la nature des activités conduites. Nous montrons ainsi que les acteurs de ces entités d’exploration conduisent cinq types d’activités différentes : (i) des activités de créativité permettant de structurer progressivement le champ d’innovation, (ii) des activités de communication externes à l’entreprise, (iii) des interactions nouvelles avec le client afin de définir les valeurs d’usage associées au champ, (iv) la formulation progressive d’une stratégie technologique, (v) la préconisation et l’analyse de cibles d’acquisition potentielles.
La troisième dimension a trait à l’inscription organisationnelle de l’exploration. Nous soulignons la diversité et la complexité des liens entre les entités d’exploration et le reste de l’entreprise. Nous mobilisons une grille de lecture issue de la littérature en management de projet, croisant trois critères (rattachement hiérarchique / temps passé sur les activités d’exploration / localisation géographique) pour mettre en lumière cette intégration et les mécanismes sur lesquels elle repose.
Nous concluons par une analyse des relations entre ces trois dimensions et par une discussion du cycle de vie de ces entités d’exploration que l’on peut penser soit comme des structures pérennes, soit comme des projets d’un type particulier.
Le dilemme entre l’optimisation des ressources existantes et la création de ressources nouvelles intéresse depuis longtemps les chercheurs. Ce dilemme qualifié de « demandes paradoxales » (Benner et Tushman, 2003, 252) ou de « paradoxe du succès » (Tushman et O’Reilly, 1996, 24) est à l’origine du concept d’ambidextérité (Duncan, 1976). Ainsi, être ambidextre consiste à savoir concilier l’exploitation des ressources existantes et l’exploration de nouvelles opportunités sans sacrifier l’une ou l’autre des stratégies. Mais, dès lors qu’est admis l’impact positif de l’ambidextérité sur la performance stratégique, il convient de comprendre comment une organisation devient ambidextre. La notion de compromis est inhérente au concept même de l’ambidextérité. L’objectif de cette communication est de présenter en s’appuyant sur une étude de cas comment les compromis se font et évoluent au fur et à mesure que l’organisation devient ambidextre. Dans une première partie, nous exposerons les éléments de réponse fournis par les travaux existants. Sur ce point, nous montrerons que la littérature apporte une réponse essentiellement structurelle, au travers d’approches majoritairement prescriptives et statiques qu’il est souhaitable de dépasser pour appréhender la dynamique de construction de l’ambidextérité. Dans une seconde partie nous présenterons la méthodologie employée pour réaliser l’étude de cas ainsi que les différents éléments empiriques qui contribuent à apporter une réponse à notre question de recherche. Nous apporterons notamment un éclairage particulier sur le phasage du processus de construction de l’ambidextérité au sein de l’entreprise Telcom. Nous discuterons enfin des résultats obtenus dans une troisième partie.