Tables rondes > Les dynamiques paradoxales de la globalisation des marchés au coeur de la crise économique ?
Organisation et animation
TOURNOIS Nadine
, Professeur en Sciences de Gestion
, IAE de l’Université de Nice Sophia- Antipolis
, France
, Nice
MILLIOT Eric
, Maître de conférences en Sciences de Gestion
, IAE de Poitiers
, France
, Poitiers
Participants
JAUSSAUD Jacques
, Professeur en Sciences de Gestion
, Université de Pau et des Pays de l’Adour
, France
, Pau
LEMAIRE Jean-Paul
, Professeur
, ESCP-EAP
, France
, Paris
MAYRHOFER Ulrike
, Professeur des universités
, IAE de Lyon, Université Jean Moulin Lyon 3
, France
, Lyon
ROUBELAT Fabrice
, Maître de conférences
, IAE de l’Université de Poitiers
, France
, Poitiers
Les_dynamiques_paradoxales_de_la_globalisation_des_marchés_au_cœur_de_la_crise_économique_.pdf
uniformisé les marchés. L’internationalisation des échanges connaît une évolution souvent contrariée
par diverses forces contradictoires. Certains auteurs parlent d’ailleurs à son sujet de victoires et de
déboires (Bairoch, 1997), d’heurs et de malheurs (Sur, 2006)… Cette situation résulte de
l’enchevêtrement complexe de différentes logiques interactives qui engendrent de nombreux
paradoxes. Ces paradoxes touchent particulièrement, à des degrés divers, les modes de
fonctionnement et de développement des entreprises.
En effet, en réaction à la globalisation, un nombre croissant de consommateurs semble vouloir revenir
aux produits traditionnels ancrés dans la culture de leur pays. Ces produits, dans un monde qui
évolue rapidement et qui n’offre pas toujours de repères stables, rassurent et permettent d’affirmer
une certaine identité. En France, par exemple, l’impact du Made in… s’intensifie (Briard, 2007). Il y a,
vis-à-vis des produits dits globaux, un sentiment grandissant d’attraction-répulsion. Les
consommateurs veulent être pleinement citoyens du monde, mais refusent en même temps tout
laminage des particularités locales. Ils souhaitent une société ouverte sur le monde, mais rejettent
l’idée d’un environnement sans reliefs et sans racines. Cette exigence ambivalente lance un défi aux
entreprises perçues comme les principaux vecteurs de la mondialisation.
Contraintes de répondre aux exigences des prospects et de se soumettre aux réglementations
locales, les entreprises développent de moins en moins des plans d’action uniformes à l’échelle
mondiale. La stratégie globale, pour reprendre les termes de Bartlett (1986), est ou a été abandonnée
par de nombreuses entreprises (IKEA, McDonald’s, Coca-Cola…). Celles-ci tentent désormais de
concilier les logiques de standardisation et d’adaptation pour faire face à des conditions de marché
complexes. La globalisation engendre donc, pour une grande majorité de secteurs d’activité, de
nouvelles conditions locales de travail.
Pour mettre en oeuvre leur stratégie, malgré la multiplication des revendications identitaires, de
nombreuses entreprises abordent les marchés étrangers en gardant un profil ethnocentré. Elles
mettent à la tête de leurs filiales des responsables issus de leur pays, font régulièrement référence à
leur culture d’origine et transposent leurs techniques de management à l’étranger. Cette approche
réflexive provoque parfois localement des réactions qui, paradoxalement, gênent le développement
international des firmes. Ces problèmes ont, par exemple, été vécus en France par Disney, Pizza Hut,
McDonald’s…
Au niveau industriel, même si le phénomène est embryonnaire, certaines entreprises, après avoir
développé leurs opérations à l’étranger pour réduire les coûts de production, se réinstallent dans leur
pays d’origine. Parmi les sociétés françaises qui ont fait cette démarche récemment, citons Atol,
Geneviève Lethu, La Mascotte, Samas… Ce retour se justifie de multiples manières : réduction des
frais de transport, simplification des logiques de gestion, meilleur productivité horaire, amélioration de
la qualité des produits, proximité avec les prospects, patriotisme économique… Il traduit un
mouvement à contre courant de la mondialisation qui pourrait se développer dans le futur.
Les paradoxes concernent également le financement des compagnies. Les pressions exercées par
les marchés financiers, tout puissants depuis l’effondrement du système de Bretton Woods, font que
les entreprises sont de plus en plus gênées pour développer des opérations à long terme (Artus et Virard, 2005). En effet, pour offrir rapidement une rentabilité aux investisseurs, les dirigeants
d’entreprise ne peuvent plus toujours financer des projets pourtant essentiels au développement de
leur organisation et s’orientent ainsi vers des stratégies de création de valeur. Cette situation accélère
la mondialisation financière, car les spéculateurs cherchent des rendements élevés à l’échelle de la
planète, mais empêche parallèlement les entreprises de faire les investissements nécessaires pour
affronter dans de bonnes conditions la concurrence internationale. La globalisation financière semble,
ainsi, fragiliser à terme les entités les plus engagées sur le marché mondial. Pour contourner cette
contradiction, Legris Industries a, par exemple, décidé de se retirer de la Bourse en 2004. Un cadre
supérieur du groupe (cité par Du Guerny, 2006, p. 9) justifie ce choix en disant :
Les analystes financiers comprennent mal nos métiers et leurs évolutions,
même si notre stratégie est claire et inscrite dans le long terme.
Sur un plan plus transversal, nous constatons aussi un certain nombre d’ambivalences au niveau de
la responsabilité sociale des entreprises. La globalisation repose en partie sur la diffusion de
l’information. Friedman (2006), pour traduire avec force le fait que les moyens de télécommunications
et de transport réduisent les notions de distance et de temps, avance d’ailleurs l’idée que la Terre est
plate. Cet accès facilité aux données met sous pression les entreprises dont les agissements sont
désormais scrutés et analysés à vaste échelle. Si un manquement est repéré, très vite les clients et
partenaires de l’entreprise sont mis au courant. Les entreprises, désormais libres de développer leurs
opérations au-delà des frontières, sont de plus en plus contraintes globalement aux niveaux
environnemental et sociétal. Plus elles sont internationalisées, plus elles sont surveillées par
différentes organisations de la société civile (Corporate Watch, Multinational Monitor, United Students
against Sweatshops…). Si elles ne prennent pas en considération les principes de responsabilité
sociale aujourd’hui retenus, elles risquent, comme Nestlé, Nike, Wal-Mart…, de fragiliser leur image
auprès de prospects de plus en plus sensibilisés.
Comme nous pouvons le constater, la globalisation fonctionne sur des principes complexes et
contraignants que les entreprises doivent identifier et gérer. Pour les y aider, les participants à cette
table ronde proposent une analyse des principales contradictions logiques qui caractérisent
l’intégration économique des marchés nationaux. Etant impossible de recenser toutes ces
contradictions (elles peuvent se fractionner, se décliner et s’adapter de multiples manières à un
contexte), les participants ne chercheront qu’à offrir un éclairage particulier sur les principales
ambivalences d’un phénomène qui a des impacts forts sur un nombre croissant d’entreprises. Pour
répondre à cet objectif, les thèmes retenus pour animer la table ronde sont les suivants :
- la liberté stratégique (Eric Milliot) ;
- la politique d’investissement (Jean-Paul Lemaire) ;
- la conciliation de l’efficience globale et de la réactivité locale (Jacques Jaussaud) ;
- la stratégie et la gouvernance (Nadine Tournois) ;
- la prospective stratégique (Fabrice Roubelat) ;
- le cas des stratégies d’internationalisation des enseignes de distribution (Ulrike Mayrhofer).
Pour chaque thème, les participants aborderont certaines contradictions logiques découlant de
l’intégration supranationale des économies et leurs impacts en temps de crise économique.