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André Caroline, Chiambaretto Paul, Rigaud Emmanuelle

Les marques prennent une importance grandissante dans les stratégies des entreprises. La construction d’une marque prend du temps et nécessite la mobilisation de nombreuses ressources (humaines, financières, légales,…), de sorte que tout est fait par les entreprises pour préserver ou protéger leurs marques. Pour autant, à certains moments de leur histoire, des entreprises font le pari d’une stratégie de marque risquée. En d’autres termes, ces entreprises développent une stratégie de marque qui peut tout autant aboutir sur une hausse que sur une baisse du capital marque de l’organisation. Ces stratégies apparaissent d’autant plus risquées que le processus de construction du capital marque est long. Parmi ces stratégies de marque risquées, nous retiendrons le cas du choix d’un nom de marque pouvant faire l’objet de poursuites judiciaires (pour concurrence déloyale, pour parasitisme, pour contrefaçon,…). Ces stratégies de marques, à première vue irrationnelles, sont en fait le résultat de décisions réfléchies par les acteurs, qui nous amènent à nous poser la question suivante : Pourquoi les organisations mettent-elles en place des stratégies de marques juridiquement risquées ? L’étude de ces stratégies sera faite à partir d’une étude de cas dans le secteur du luxe. Le choix de ce secteur ne tient pas du hasard, mais au contraire de la volonté de choisir un cas extrême. Il représente un cas extrême dans la gestion des marques puisque c’est essentiellement le capital marque qui définit la réussite de l’entreprise. Nous montrons ainsi comment une grande marque telle qu’Yves Saint Laurent (YSL) a adopté une stratégie de marque risquée en décidant d’appeler un de ses parfums « Champagne », alors même que ce nom est protégé par un AOC. A priori irrationnelle et risquée, cette stratégie s’explique en fait par une série d’apprentissages et d’arbitrages réalisés par les acteurs en question. Nous partons donc de la narration de ce cas pour établir des propositions empiriques. A partir ce propositions empiriques, nous élaborons un modèle de prise de décision s’appuyant sur les cascades informationnelles et s’inspirant des travaux sur l’économie du crime, permettant de répliquer ces propositions empiriques. Puis, à l’aide à ce modèle, nous essayons de développer plusieurs propositions théoriques plus générales. Grâce à ce modèle de prise de décision, nous avons réussi à mettre en évidence plusieurs tendances permettant d’expliquer le comportement stratégique des entreprises en matière de marques. Il apparait ainsi que le processus de choix d’une marque « risquée » relève tout d’abord d’un arbitrage entre les gains potentiels et les probabilités de condamnation. Une fois cet arbitrage intégré, on observe que cette probabilité estimée de condamnation évolue en fonction du « passé juridique » de l’entreprise. De sorte que plus le nombre de non-condamnations successives (pour des affaires similaires) avant un jugement est élevé, plus la stratégie de marque risquée apparaitra préférable aux yeux des dirigeants. Inversement, plus une entreprise aura été condamnée pour des faits similaires par le passé, moins elle sera enclin à choisir un nom de marque litigieux.