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Lacroux François

Auteur

François LACROUX

 

Résumé

« Sur une route bien connue, le conducteur d’une charrette qui se déplace au pas, la nuit, n’a besoin, pour éclairer sa route, que d’une mauvaise lanterne. Par contre, l’automobile qui parcourt à vive allure une région inconnue doit être munie de phares puissants. Rouler vite sans rien voir serait proprement une folie ». Cette citation de G. Berger constitue l'un des vade-mecum de la pensée prospective.

Mais songe-t-on souvent à ses présupposés ? Elle n'est vraie qu'à deux conditions : que la route existe, donc qu'elle ait déjà été préalablement tracée ; et corrélativement, que cette route supposée tracée permette de rouler à vive allure. En conservant la métaphore routière, l'avenir tel que le décrit G. Berger s'apparente à une route de plaine. Mais peut-on conserver le même comportement sur une route de montagne, où virages brusques et lacets se succèdent ? Ne serait-il pas alors aussi pertinent de diriger les phares vers le haut et le prochain lacet, plutôt que vers une hypothétique ligne droite située devant le véhicule ?

Pour paraphraser A. C. Martinet (1994), l’incertitude constitue un « invariant épistémologique » de l’action stratégique. Néanmoins, force est de reconnaître que si cette incertitude perdure, son degré a varié entre le début des années 60 et la situation telle qu'on la connaît aujourd'hui. Quelque entreprise engageant une démarche prospective doit s’attendre à devoir prendre en compte des environnements à degré d’incertitude fort, ceux qui s'apparentent justement à la « route de montagne » que nous citions. Des environnements « où le hasard et le désordre sont irréductibles, [...] où l’incertitude demeure » (E. Morin, 1990, pp. 163-165) ; des situations « d’imprévisibililté essentielle » (P. Valéry, cité dans H. Bessis, 1983). Pour qualifier de tels environnements, P. Valéry comme E. Morin recourent à l’idée de « complexité ».

Certes, les incertitudes sont à la base de toute démarche prospective. Mais pour autant, la prospective est-elle à même de faire face à l’incertitude « radicale » qui caractérise la complexité ? Selon C. Marmuse (1996), le fait de faire face à des environnements très incertains (le « domaine de l’inconnu », dit-il) oblige à faire évoluer les « logiques de décision ». Ne doit-on pas également faire évoluer les « logiques de la prospective » (et donc ses outils et ses méthodes) ? Et d’une façon plus générale, ne doit-on pas réfléchir au sens de l’action prospective dans la complexité ? Si cette interrogation constituera la trame de cet article, il nous semble nécessaire, pour l’introduire, d’apporter une brève description de notre conception de la complexité ; description que l’on illustrera à travers les évolutions de la planification/programmation militaire française (§1). On pourra alors s’interroger sur l’efficacité des outils de la prospective face à ce type d’environnements (§2). On en viendra à proposer des aménagements (§3), voire des changements de regard (§4) qui nous semblent de nature à restaurer toute la richesse de la dimension prospective.