AIMS

Baroncelli Alessandro, Froehlicher Thomas
L’enchevêtrement des formes organisationnelles, marchés, hiérarchies et réseaux

Auteur

Alessandro BARONCELLI

Thomas FROEHLICHER

Résumé

Quand il proposa sa théorie de l’organisation fondée sur deux pôles, marchés et hiérarchie, Williamson ne se doutait probablement pas qu’elle serait massivement appliquée à l’étude de la coopération interentreprises et des alliances stratégiques. Vraisemblablement ne l’espérait-il pas non plus. En effet, la persistance du phénomène coopératif dans le champ de la stratégie d’entreprises et des structures d’organisation le conduit à accepter une évolution de ses théorisations. Il reconnaît alors une variété plus grande de structures organisationnelles qui se trouvent entre les deux formes canoniques que constituent marchés et hiérarchie. En définitive, la bipolarité, discrète ou continue, va fonder une véritable plate-forme conceptuelle que de nombreux auteurs vont emprunter, prosélytes ou critiques, pour fonder leurs travaux sur la coopération et les réseaux d’entreprises. Certains partent à la découverte des « formes hybrides », entre marchés et hiérarchies.

D’autres dénonçant la « tyrannie » imposée par cette bipolarité des structures de gouvernance ont recours à une forme supplémentaire, le réseau, pour décrire et analyser une réalité toujours plus difficile à appréhender que ne le laisse présumer les théories. De façon générale, un réseau se définit comme une structure de liens entre des noeuds. Dans le domaine organisationnel ces noeuds peuvent être des organisations, des rôles organisationnels à l’intérieur des organisations ou des individus, ce qui amène à considérer trois types de réseaux : le réseau inter-organisationnel qui relie des entreprises ou d’autres types des personnes morales, le réseau intra-organisationnel qui relie des pôles organisationnel (fonctions, divisions, sociétés contrôlées) à l’intérieur des organisations et le réseau inter-individuel ou personnel qui relie des personnes physiques (Boari, Grandi, Lorenzoni, 1989).

La littérature sur la place des réseaux dans les relations inter-entreprises tend à isoler chacune de ces formes. On trouve ainsi toute une littérature qui associe le réseau inter-organisationnel à une forme de gouvernance stable et alternative à la dichotomie marché-hiérarchie (Miles et Snow, 1986 ; Thorelli, 1986; Eccles et Crane, 1987; Powell, 1990 ; Lorenzoni, 1997). Un autre ensemble de travaux identifie des réseaux de personnes et mesurent l’incidence de ces structures relationnelles sur les marchés d’organisations (Burt, 1992 ; White, 1981). Cette dimension physique de la relation inter-individuelle est d'autant plus prégnante qu'elle est absente de la coopération inter-organisationnelle si, comme il est le cas de l’approche économique à la compréhension des organisation, l'on s'interdit d'observer les individus qui représentent et incarnent ces organisations. Par nature, ces trois types de réseaux sont intégrés dans le cadre de la coopération inter-entreprises, et la nature des régulations qu’on y retrouve les rapproche plutôt au marché ou à la hiérarchie. Cependant le choix d’analyser le organisation réelle selon la proposition de Williamson (1975, 1985, 1991) par confrontation aux « idéaux-types » nous amènerait, par la notion de coûts de transaction, à découvrir que même les organisations qui se rapprochent le plus des modèles contiennent des éléments de l’autre forme. Sur ce point, la critique faite à cette approche par Stinchcombe (1990) est encore plus radicale puisque, selon lui, hiérarchie et marché ne sauraient être définis que de manière résiduelle l’un par rapport à l’autre.

De cette vision triangulaire ressort un monde économique complexe ou s’entremêlent marchés, hiérarchies et réseaux. Dans cette communication, nous adhérons à une représentation triangulaire de la réalité. Nous nous attachons, dans un premier temps, à stabiliser le troisième terme que constitue le réseau au côté de la « marchandisation » et de la hiérarchie. Le réseau possède une existence et des propriétés qui leur sont extérieures. Cependant, notre propos n’est pas pour autant de faire l’impasse sur les autres formes d’organisation.

Au contraire, nous discutons la notion de réseau en mobilisant plusieurs contextes d’action pour faire ressortir cet inextricable enchevêtrement des formes organisationnelles. Les conclusions présentées dans cette contribution ressortent de recherches empiriques menées à la fois par questionnaires sur des échantillons représentatifs des ensembles étudiés et d’entretiens conduits en face à face ou au téléphone avec les principaux responsables. Ainsi, nous serons amenés à décrire deux districts industriels italiens, celui de Mirandola consacré au biomédical et celui de la chaussure de Casarano. Nous intégrerons aussi l’analyse d’une organisation complexe associant l’ensemble des musées municipaux de la ville de Strasbourg, « Musées de la Ville de Strasbourg » (MVS) et d’une structure organisationnelle dans le domaine de la distribution articulée autour de firmes-pivot.